Hantise au presbytère : Récit d’un cauchemar

L’histoire des phénomènes de hantise au presbytère de Cideville en 1850 nous plonge au cœur des mystères et des croyances surnaturelles du XIXe siècle. Elle met en lumière les peurs profondes et les superstitions ancrées dans les esprits de l’époque, où le surnaturel se mêlait au quotidien des gens. Dans ce petit village de Normandie, peuplé d’à peine 300 âmes, des événements inexpliqués vont transformer la vie paisible des habitants en un véritable cauchemar. Des objets qui se déplacent seuls, des bruits sourds et des manifestations invisibles vont semer la terreur et attirer l’attention des curieux et des érudits de la région.

Avant de vous présenter le récit des phénomènes de hantise au presbytère de Cideville en 1850, prenons quelques instants pour définir ce qu’est un Poltergeist. Ce mot d’origine germanique peut se traduire par « esprit frappeur ». Il s’agirait d’un fantôme, d’un esprit, d’un démon, ou plus simplement d’une force surnaturelle capable d’accomplir des actions sur le plan matériel, bien que lui-même soit invisible. L’usage de ce mot débute au 16e siècle, même si son utilisation fréquente pour expliquer les manifestations surnaturelles ne commence qu’au 19e siècle. Cela ne signifie pas que ce type de phénomènes n’existait pas auparavant, simplement que d’autres termes étaient utilisés.

Définition du Poltergeist

En parapsychologie, les Poltergeists sont classés dans la catégorie des anomalies à effet physique, également appelées « Petite Hantise ». Les phénomènes communs incluent le déplacement d’objets, les coups frappés dans les murs, des sévices physiques comme des griffures ou des coupures, la lévitation, les observations lumineuses, des sons ou bruits inexplicables, et même la terrifiante combustion spontanée. Bien sûr, s’il n’existe aucune explication satisfaisante pour expliquer l’ensemble des phénomènes, beaucoup d’entre eux relèvent néanmoins de la supercherie, de diverses psychoses, ou encore de phénomènes naturels dans certains cas. Cependant, il reste une part importante qui reste inexpliquée. On constate quelques éléments communs dans ces cas de figure :

• En premier lieu : la présence quasi systématique de jeunes enfants ou d’adolescents sur le lieu de hantise.

• Deuxièmement : l’empreinte d’un élément « direct ou indirect » d’activité de sorcellerie, ou de croyances en ce sens pour les personnes concernées par la manifestation.

Dans l’affaire qui nous intéresse, nous allons retrouver ces deux éléments. Alors, commençons justement avec le prélude aux manifestations, en posant les circonstances et les protagonistes de cette affaire du presbytère de Cideville.

Le prêtre et le berger

Si l’on a pour habitude de croire que les histoires de sorcellerie concernent uniquement le Moyen Âge et la Renaissance avec la terrible chasse aux sorcières, rien n’est moins vrai. L’histoire que je vais vous présenter se déroule en plein milieu du 19e siècle. Nous sommes en Normandie, dans le petit village de Cideville, peuplé d’un peu plus de 300 habitants en l’année 1849. Le curé du village s’appelait Monsieur Tinel et avait à sa charge deux jeunes garçons qu’il destinait au séminaire : le premier s’appelait Gustave Lemonnier, âgé de douze ans, et le second Clément Bunnel, qui avait quatorze ans lors des événements.

Le prêtre et les deux garçons vivaient au presbytère à proximité de l’église Saint-Éloi. Le père Tinel avait bonne réputation et s’occupait admirablement de ses deux protégés. Lors de l’une de ses visites à un paroissien souffrant, le prêtre tomba nez à nez avec un homme de mauvaise réputation au chevet du malade. L’homme mystérieux était connu pour être un guérisseur, mais surtout un sorcier aux mauvais penchants. Plus grave encore, le prêtre avait eu connaissance de plusieurs malades qui avaient sollicité ses services, et dont les remèdes ne firent qu’empirer leur état.

Le père Tinel le chasse de la maison du malade et l’exhorte à quitter le village. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais le sorcier va connaître une autre déconvenue. Quelques mois plus tard, l’homme de mauvaise vie sera interpellé par les autorités pour vols ainsi que d’autres méfaits. Il est condamné à deux années de prison. Le sorcier pense que le prêtre de Cideville est responsable de ses malheurs et décide de se venger, proférant des menaces à son encontre. Ne pouvant pas agir par lui-même depuis sa prison, il sollicite l’aide de l’un de ses disciples et ami, un dénommé Thorel, berger de son état mais sorcier lui aussi. Il clame à qui veut l’entendre que le prêtre de Cideville allait payer pour ses actes et que c’est lui-même qui exercerait la vengeance.

Les deux adeptes des sciences secrètes concoctent un plan pour faire souffrir le prêtre et décident de s’en prendre aux deux enfants qui étaient sous sa garde. Quelques mois plus tard, en 1850, la vengeance des sorciers prend forme. Un jour de marché au village de Cideville, Thorel profite de la cohue pour s’approcher du jeune Gustave et lui impose sa marque en touchant sa chemise. Rien de bien étrange en apparence, la scène semblait des plus banales et aucun événement notable n’eut lieu pendant le marché. Le berger sorcier avait pourtant bel et bien lancé sa malédiction qui allais frapper le presbytère de Cideville.

Hantise au presbytère : La malédiction du sorcier

Le jeune Gustave rentre au presbytère comme si de rien n’était, mais immédiatement des phénomènes insolites commencent à se manifester. Le prélude fut un ouragan furieux qui se déchaîne sur la bâtisse, suivi de battements d’une grande force dans tous les angles de la maison, comme des coups de marteau sur les murs. Le presbytère est ébranlé de toutes parts : le plafond, le plancher et même les murs s’agitent dans un véritable charivari infernal. Les villageois, attirés par les bruits insolites perceptibles à une grande distance, s’amassent autour de la maison du prêtre afin de s’informer de la situation ou par simple curiosité. L’histoire raconte qu’ils furent 150 autour du presbytère. Une fois le phénomène calmé, les villageois et le prêtre fouillent la maison en quête d’une explication, mais sans succès. C’est alors que la force mystérieuse se manifeste à nouveau, faisant voler les chaises et les tables dans la maison. On raconte même que les chiens furent projetés au plafond. Il semble qu’un esprit frappeur ou Poltergeist soit à l’origine de ce désordre.

Les objets – brosses, couteaux, livres – commencent à virevolter dans l’espace et sont même projetés à l’extérieur par les fenêtres, le tout accompagné d’une mélodie. Certains villageois sont terrifiés et s’enfuient du lieu maudit, alors que d’autres s’amusent et demandent même des actions particulières à l’entité invisible, qui s’emploie à répondre à leurs demandes de déplacement d’objet, le tout dans une symphonie bien orchestrée. Sous ses apparences locales et amusantes, le Poltergeist n’en est pas moins amical, et certains témoins rapportent des maltraitances physiques de sa part. Une femme se fit violemment bousculer, et le maire du village reçut un violent coup sur la cuisse de la part de l’entité invisible, lui arrachant un cri. La nuit venue, les phénomènes ne s’arrêtent pas et se poursuivent pendant des jours avec quelques courtes phases de répit, comme si l’esprit avait besoin de faire quelques pauses. Après quinze jours, le maléfice ne semblait pas se dissiper. Un homme du voisinage, M. de Mirville, instruit des méthodes spirites, décide d’entrer en contact avec l’entité.

Avec l’autorisation du père Tinel, le spirite s’installe dans la chambre des enfants et tente d’instaurer un dialogue avec la force invisible via la méthode des tables tournantes. Il demande à l’esprit de frapper contre le mur : un coup pour oui et deux coups pour non. Le spirite pose plusieurs questions au Poltergeist afin de vérifier ses capacités. Il demande à l’esprit de lui donner son nom, sa date de naissance et le nom de ses enfants, et l’entité s’exécute avec exactitude. Plusieurs autres séances de spiritisme seront organisées par la suite, notamment avec un vicaire de Saint-Roch de passage dans la région, intrigué par le phénomène. L’esprit répond toujours avec exactitude, à la plus grande stupéfaction des spirites amateurs et des curieux.

Pour ce qui est du jeune garçon, sa santé se trouvait affectée. Gustave était pris d’une grande fatigue et de contorsions et affirmait être suivi par un homme en noir. Les témoins rapportent avoir observé une forme verdâtre autour de lui. Une fois, l’enfant reçut même une gifle venue de nulle part, lui arrachant un cri de douleur ; la sévice semblait venir de nulle part et sa joue resta rouge plusieurs jours. Les villageois présents affirment avoir entendu le bruit de la gifle, mais n’avoir vu aucune main la donner. Le prêtre de Cideville s’en remettait à la prière, mais plusieurs de ses confrères lui préféraient une méthode différente. En effet, selon les traditions, les esprits étaient vulnérables aux pointes de fer. Les prêtres s’arment de pointes de fer et commencent à mouliner dans le vide en direction des bruits ou des diverses manifestations. Soudainement, une flamme verdâtre jaillit de nulle part et arrache un cri issu de l’invisible. Les ecclésiastiques redoublent d’efforts jusqu’à entendre un nouveau cri articulant le mot « pardon ». Une conversation des plus insolites s’engage, défiant toute logique, entre les hommes de Dieu et le tourmenteur invisible :

• Pardon ! s’écrient les ecclésiastiques, nous te pardonnerons et nous prierons Dieu qu’il te pardonne aussi, mais à la condition que tu viennes toi-même demander pardon à cet enfant.

• Nous pardonneras-tu à tous ?

• Vous êtes donc plusieurs ?

• Nous sommes cinq, y compris le berger.

• Nous pardonnerons à tous.

Le Poltergeist mit fin à ses malveillances et disparut, laissant le presbytère en paix.

Dans cette histoire, nous retrouvons les éléments classiques des phénomènes de hantise : les coups dans les murs, les objets qui volent dans tous les sens et même hors de la maison, la lévitation, les violences physiques, et même les bruits insolites venus de nulle part. Il y eut de nombreux témoins des événements, ce qui n’écarte pas la possibilité d’une supercherie, mais la rend moins probable en raison des constatations d’individus extérieurs. Cependant, la possibilité d’une « contamination psychique » due à l’hystérie collective ne doit pas être écartée. On constate également l’engouement pour le spiritisme en plein cœur du 19e siècle, discipline en plein essor. Comme les phénomènes de hantise, le spiritisme de M. de Mirville pose plus de problèmes qu’il n’apporte de réponses. Difficile de savoir si, lors des séances de tables tournantes, les protagonistes discutaient avec le Poltergeist, un autre esprit, ou leur inconscient collectif. La scène la plus cocasse reste le moment où les ecclésiastiques attaquent l’entité invisible avec des piques de fer… Une scène digne d’un mauvais film de série B, mais cette pratique a réellement existé et fut même particulièrement répandue. Je vous cite le témoignage d’Alexis Vincent Charles Berbiguier, connu pour sa folie psychotique, mais aussi pour ses nombreuses escarmouches avec d’hypothétiques entités invisibles :

Si Berbiguier fut sans conteste un fou, il n’en reste pas moins que beaucoup plus sains d’esprit croyaient réellement que les esprits invisibles de type farfadet, Poltergeist et autres fantômes étaient vulnérables aux pointes de fer ou au sel. Cette croyance fut reprise dans de nombreuses œuvres de fiction moderne, à commencer par la série TV Supernatural, où nos héros ne sont pas différents de nos prêtres de Cideville. Pour le moment, revenons à notre affaire afin de suivre les événements qui vont s’enchaîner après cette insolite confrontation.

Le procès du prêtre

Le jour suivant le combat occulte du Presbytère de Cideville, un homme se présente à la porte du presbytère avec un air embrasé. Il s’agit du berger Thorel, dissimulant une affreuse blessure au bras gauche ainsi que des écorchures au visage. Gustave s’écrie en le voyant :

« Voilà l’homme qui me poursuit depuis quinze jours ! »

Le curé lui dit :

« Que voulez-vous, Thorel ? »

« Je viens… Je viens de la part de mon maître chercher le petit orgue que vous avez ici. »

« Non, Thorel, non, on n’a pas pu vous donner cet ordre-là; encore une fois, ce n’est pas pour cela que vous venez ici; que voulez-vous ? Mais auparavant, d’où vous viennent ces blessures, qui donc vous les a faites ? »

« Cela ne vous regarde pas ; je ne veux pas le dire. »

« Dites donc ce que vous voulez faire ; soyez franc, dites que vous venez demander pardon à cet enfant; faites-le donc et mettez-vous à genoux. »

« Eh bien, pardon, » dit Thorel, en tombant à genoux. Mais il profite de l’occasion pour saisir une nouvelle fois la manche du jeune Gustave, qui est immédiatement pris d’atroces souffrances et les bruits s’accentuent dans le presbytère. Le père Tinel demande à Thorel de le suivre à la mairie pour mettre fin à cette affaire, le berger accepte. Devant plusieurs témoins, Thorel tombe à genoux et s’approche du prêtre en demandant pardon plusieurs fois, mais le prêtre recule pour ne pas subir une éventuelle malédiction à son tour. Thorel continue de ramper vers le père Tinel, qui recule et menace de se défendre avec sa canne. Le berger ne l’écoute pas et accule le prêtre contre le mur, qui n’a d’autre choix que de mettre sa menace à exécution. Il frappe trois fois le berger à coups de canne pour le faire reculer.

Thorel porte plainte contre le prêtre pour coups et blessures, mais sa demande sera rejetée par le palais de justice d’Yerville en raison des nombreux témoignages qui prennent la défense du prêtre et qui avaient assisté à la scène. La possession du presbytère ne s’arrêta pas pour autant, et de jour en jour, les phénomènes accablaient le prêtre et ses deux protégés. C’est l’archevêque de Rouen, informé de tous les événements, qui prit la décision d’éloigner les deux garçons de Cideville le 15 février 1851. Ils seront envoyés auprès d’autres ecclésiastiques à Rouen. Les phénomènes diaboliques cessèrent immédiatement après leur départ, au grand désespoir du père Tinel. La vengeance des deux sorciers avait fait son œuvre.

Conclusion :

L’élément le plus important dans les événements du Presbytère de Cideville est la nature du phénomène de hantise. Ici, il ne s’agit pas de fantômes, de démons ou d’autres créatures surnaturelles, mais de la forme astrale du sorcier qui vient tourmenter l’enfant. Le Poltergeist est donc le sorcier lui-même, même s’il n’est pas exclu que d’autres esprits aient été invoqués, comme semble le suggérer l’échange lors du combat magique.

Maintenant, analysons toute cette histoire. Bien sûr, vous vous doutez bien que je suis incapable d’affirmer que les événements de Cideville furent réels, ou le simple fruit d’une hystérie collective, ou même d’un vaste canular de grande ampleur. Bien malin celui qui pourra affirmer quoi que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Ce qui m’intéresse, c’est le mécanisme des phénomènes tels qu’ils peuvent s’expliquer dans les croyances folkloriques et par les sciences occultes. Le personnage de Thorel n’était peut-être pas un sorcier, mais il le croyait et ses actions sont en tout point semblables aux pratiques de sorcellerie de l’époque.

Alors, comment cela fonctionnerait-il ? Le sort qui touche Gustave est une malédiction. Le sorcier crée un lien fluidique avec lui en le touchant (il impose sa marque), ainsi il peut agir sur lui à distance incognito. Premièrement, le sorcier projette son corps astral afin de provoquer les phénomènes de hantise, le Poltergeist est donc le sorcier lui-même. Cette croyance existe depuis longtemps et a notamment occupé les théologiens. Les sorcières se rendaient-elles au sabbat physiquement ou lors de leurs rêves ?

De la même façon, de nombreux récits médiévaux attestent de cette croyance, à savoir que l’individu a la capacité d’agir hors de son corps lors du sommeil ou en état méditatif. Deuxièmement, lorsque Thorel apparaît blessé devant le prêtre, celui-ci associe immédiatement les blessures avec le combat magique de la veille. Car, encore une fois, dans les superstitions de l’époque, si le corps astral peut agir à distance, il reste connecté au corps physique, ainsi chaque blessure infligée au corps astral se répercute en miroir sur le corps physique. Dans le même esprit, dans les anciennes croyances aux loups-garous, on observait les personnages qui auraient eu des blessures identiques à celles infligées à la bête par les chasseurs. Si une patte de l’animal était coupée la nuit et que le lendemain votre voisin avait une large blessure au bras, aucun doute qu’il était le loup-garou. Enfin, les phénomènes ne s’arrêtent pas pour autant lorsque le sorcier est confondu, et les garçons doivent finalement être éloignés du presbytère pour que la hantise cesse. Nous trouvons ici un élément capital : l’élément central de la hantise tourne autour de l’adolescent. Sans lui, pas de hantise.

On pourrait répondre à cela de trois façons :

  • Le garçon est responsable d’une supercherie à grande échelle ; il a dupé le prêtre, les villageois, le médium, et les autorités ecclésiastiques.
  • Le sorcier a accompli son œuvre et n’a plus de raison de continuer ses malveillances.
  • Le garçon est responsable involontairement ou de façon inconsciente des événements ; il est lui-même à l’origine des phénomènes de hantise.

Les trois réponses sont possibles. N’hésitez pas à me dire laquelle a votre préférence.

Bibliographie

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