Naia la sorcière de Bretagne

Aujourd’hui, nous allons parler de sorcellerie, mais attention, il ne s’agit pas d’une affaire maléfique. Si, dans le monde de l’ésotérisme moderne, on emploie régulièrement les termes magie noire et magie blanche, dans l’histoire que je m’apprête à vous présenter, nous sommes dans la deuxième catégorie. C’est l’histoire d’une guérisseuse bienveillante qui répondait au nom de Naïa, la sorcière de Rochefort-en-Terre. Une histoire qui se déroule à la toute fin du XIXᵉ siècle…

La sorcellerie est un mot chargé d’une puissante connotation négative. Elle évoque immédiatement les malédictions, les charmes d’envoûtement ou encore le mauvais œil. D’un point de vue historique, la sorcellerie porte également son lot de stigmates : entre les bûchers de l’Inquisition, la torture de milliers d’individus — majoritairement des femmes —, et la destruction progressive, au fil des siècles, d’un pan entier de notre héritage païen. Quelles que soient vos croyances, la sorcellerie ne laisse pas indifférent :

Pour les uns, c’est le symbole d’une pratique maléfique, voire diabolique. Pour d’autres, c’est l’histoire d’une magie multimillénaire qu’ils tentent de ressusciter. Enfin, certains la voient comme un corpus de superstitions stimulant l’activité de charlatans qui leur hérissent le poil. Mais avant de vous présenter l’histoire de Naïa, parlons quelques instants de celui qui va la faire connaître…

La Vieille France qui s’en va

L’histoire qui nous intéresse aujourd’hui va nous conduire sur les terres légendaires de Bretagne, où se mêlent histoire et superstition. Plus précisément, nous allons suivre les traces de Naïa, une sorcière qui vécut à la fin du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, dans la ville de Rochefort-en-Terre, dans le Morbihan. Cette histoire nous est connue grâce au travail de Charles Géniaux et à son ouvrage La Vieille France qui s’en va, qui traite des anciennes traditions, principalement en illustrant cette vieille France paysanne si riche, et que l’avenir tend à faire disparaître avec l’entrée dans le monde moderne, post-révolution industrielle.

Charles Géniaux parcourt la Bretagne afin de photographier des lieux insolites ainsi que d’anciennes maisons typiques de cette France mourante. Il s’emploie à rechercher les gardiens des anciennes traditions : les rebouteux, les guérisseurs des villages et, bien sûr, les sorcières, tous ces personnages insolites qui forment la mémoire de nos campagnes. Lors de ces pérégrinations, il rencontre Naïa, dite la sorcière de Rochefort-en-Terre, et publie un premier article sur elle dans le World Wide Magazine en 1899. Cette femme énigmatique était au cœur des légendes locales, et ses prétendus pouvoirs demeurent inexpliqués.

Charles Géniaux fait partie de ces collecteurs de mémoire vivante qui nous permettent encore d’étudier tout un pan de notre histoire. Tout ce folklore populaire, ces légendes et superstitions, ont largement disparu de notre époque moderne. Bien sûr, il ne s’agit pas de prendre toutes ces histoires pour argent comptant, mais elles n’en constituent pas moins notre patrimoine immatériel. La fin du XIXᵉ et le début du XXᵉ siècle forment une période de paradoxes, entre les religieux d’un côté et les scientistes de l’autre. Alors que le monde file vers son avenir, voici l’histoire de Naïa, véritable capsule temporelle d’une époque disparue.

Alors, je vais vous demander un court instant de mettre de côté vos a priori et de vous laisser conter l’histoire d’une sorcière de Bretagne, qui a vécu il y a à peine plus de cent ans…

Naïa la sorcière

Naïa la sorcière était bien connue des habitants de Rochefort-en-Terre. Sa date de naissance n’est pas connue, et sa date de mort ne l’est pas davantage. Elle serait née dans la ville de Malansac, et son père aurait lui-même été rebouteux, comprenez : un peu sorcier. Nous sommes dans le mystère le plus complet, et cela est amplifié par l’imaginaire.

Ladite sorcière vivait seule dans les ruines du château des Rieux à Rochefort-en-Terre, mais ce n’était pas une simple vagabonde. Naïa était instruite et savait lire et écrire, ce qui n’était pas le cas de toute la population en cette fin de XIXᵉ siècle. La sorcière avait une excellente connaissance des plantes médicinales, mais aurait disposé, au dire des habitants locaux, de plusieurs pouvoirs bien énigmatiques.

Naïa la sorcière aurait possédé la capacité de voler dans les airs sur un balai, à l’image de l’imaginaire classique des sorcières. On disait qu’elle était insensible à la chaleur et au feu : elle prenait des braises à pleine main, mais sans éprouver la moindre douleur et sans qu’aucune trace de brûlure ne marque ses mains. De façon logique, elle aurait disposé de la capacité de barrer le feu pour soigner autrui.

De nombreux témoins affirment que Naïa possédait le don d’ubiquité, ou le pouvoir de se trouver à deux endroits en même temps. Les villageois assuraient l’avoir aperçue dans différents lieux aux mêmes heures de la journée. Naïa aurait également disposé d’un large panel de capacités magiques pour les enchantements ou les malédictions. Cependant, la sorcière de Rochefort semblait de nature bienveillante, au plus grand bonheur des habitants de la région, qui la consultaient régulièrement. Avant de la rencontrer, les villageois en font une description élogieuse à Charles Géniaux, qu’il nous transmet en ces quelques mots :

Naia la sorcière

Charles Géniaux mettra une quinzaine de jours pour trouver la sorcière, malgré l’aide des villageois, et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il la rencontra. La femme était âgée, sans aucune grâce, avec des yeux vitreux, probablement dus à une cataracte, de grandes mèches blanches qui couraient sur ses épaules de façon hirsute et sale, loin de l’image romanesque que Charles Géniaux se faisait d’une immortelle aux grands pouvoirs magiques.

Naïa refuse tout contact avec l’enquêteur, elle refuse qu’il la touche, car elle prétend que cela la brûlerait : une brûlure sans flamme, comprenez. Charles persiste néanmoins et la rencontre plusieurs fois. Il va la photographier à plusieurs reprises, notamment lors de ses invocations rituelles. Notre auteur affirme que lorsqu’elle priait le ciel, la pluie s’arrêtait de tomber. Naïa se livrait également à la divination, et Charles la photographie en train de lire dans les lignes de la main d’une jeune fille.

Quelques personnes des environs, et notamment des médecins, affirment que Naïa était une charlatane dotée de grandes qualités de prestidigitation. Elle serait ventriloque et utiliserait ce talent afin de fasciner les plus simples d’esprit. Naïa concoctait également des mixtures d’huile grasse pour anesthésier la douleur des brûlures faites par le feu qu’elle prenait à pleine main.

Mythe & Réalité

Naïa, véritable sorcière ou habile charlatane ? Je serais bien incapable de vous le dire. Il ne fait pas le moindre doute que les habitants de Rochefort-en-Terre croyaient réellement à ses pouvoirs. Je vous rapporte la citation d’un article de Marilyse Leroux, qui commente l’affaire de Naïa la sorcière :

Mais la question que vous vous posez sûrement, c’est : qu’est devenue Naïa ?

Naia la sorcière

Après le passage de Charles Géniaux et la publication de son livre, nous n’entendons plus jamais parler de Naïa la sorcière. Plusieurs chercheurs se lanceront sur sa piste dans les années 1970 et 1980, mais aucun habitant de Rochefort ne semblait l’avoir connue personnellement. En revanche, son souvenir était bien présent. Aucune date de naissance, aucune date de mort, aucune sépulture et aucun témoin vivant. Les historiens en sont venus à la conclusion que Naïa n’avait jamais existé, que Charles Géniaux avait inventé le personnage de toutes pièces en mettant en scène une vagabonde.

Mais cette conclusion me semble bien péremptoire. S’il est impossible de prouver les pouvoirs de Naïa, il n’est pas plus raisonnable de nier en bloc son existence. En premier lieu, nous avons des photographies de la sorcière, et il est difficile de cerner les motivations que Charles Géniaux aurait eues à faire cette mise en scène. Ensuite, il ne faut pas oublier qu’en 1970, Naïa était probablement morte depuis bien longtemps, et il n’y a rien d’étonnant à ce que les villageois vivant au moment des contre-enquêtes ne l’aient pas connue personnellement. L’absence de date de naissance et de mort s’explique assez facilement pour une femme vivant hors de la société, dans les ruines d’un château solitaire, et disparaissant comme elle était venue, loin du monde civilisé. Le mystère de Naïa reste entier. Bien sûr, il existe bon nombre de personnages insolites. Fut un temps, chaque village de France avait son propre guérisseur, rebouteux ou faiseur de secrets. Dans une certaine mesure, ils existent encore.

Ce qui est intéressant avec l’affaire de Naïa la sorcière, c’est que cette histoire ne se déroule pas au Moyen Âge, ni même lors de la grande chasse aux sorcières de la Renaissance. Et c’est cela qui est le plus insolite. Alors, bien sûr, Charles Géniaux fut accusé d’avoir tout inventé, d’avoir créé Naïa de toutes pièces. Pour y répondre, je vous cite un extrait de Stéphane Batigne, traducteur et éditeur de Naïa, la sorcière de Rochefort-en-Terre, sur la réalité de Naïa :

naia la sorcière

Tout ne peut pas être accepté en bloc, mais tout ne peut pas être rejeté non plus. Ce qui heurte la raison, c’est l’incursion de cette sorcellerie dans notre monde rationnel du XXᵉ siècle, au point d’en nier l’existence même. Il est facile de chercher des raisons psychologiques aux témoignages du Moyen Âge, il l’est beaucoup moins au XIXᵉ et XXᵉ siècle. Pour reprendre l’idée de Claude Lecouteux, éminent spécialiste des traditions médiévales, on ne peut rejeter en bloc tous ces innombrables témoignages qui défient notre rationalisme. Naïa n’était peut-être pas une sorcière, mais elle le croyait, et les villageois de Rochefort-en-Terre de ces premières années du XXᵉ siècle le croyaient tout autant.

Bibliographie :

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