L’Ankou : Légende de Bretagne

La légende de l’Ankou appartient à la mythologie bretonne et constitue un héritage de la tradition celtique. Elle porte des noms différents selon les régions : Anghau au Pays de Galles ou Ankow en Cornouailles. En Bretagne, l’Ankou est également surnommé “le père de l’angoisse” ou “de l’Anken”.

Un héritage de la tradition celtique :

Ankou

L’Ankou n’est pas le dieu de la mort, mais seulement son serviteur. C’est lui qui vient chercher les âmes des condamnés ou, plus simplement, celles de ceux dont l’heure est venue de rejoindre l’autre monde.

C’est une figure psychopompe, à l’instar d’Anubis ou Hermès. Comme Charon dans la mythologie grecque, il est le passeur d’âmes, chargé d’escorter les défunts vers l’autre rive. Cependant, contrairement à Charon, qui utilise une barque, l’Ankou se déplace en charrette.

Toute personne qui croise sa route est condamnée à mourir. Entendre le bruit de sa charrette est un mauvais présage, signifiant la mort prochaine, que ce soit dans l’année ou, dans le meilleur des cas, celle d’un proche.

Une figure effrayante : 

L’Ankou apparaît sous les traits d’un vieil homme de grande taille, aux cheveux blancs. Son apparence est effrayante : il est d’une maigreur extrême et ses yeux vides sont remplacés par deux chandelles blanches qui éclairent les ténèbres dans lesquelles il se meut. D’autres légendes rapportent qu’il porte un linceul et que son corps n’est qu’un squelette blanchi.

L’Ankou est toujours vêtu d’une longue cape noire, comme celle d’un cocher, ainsi que d’un large chapeau qui dissimule son visage hideux. Il porte avec lui son outil de travail : une faux dont le tranchant est inversé. 

Avec cette arme, il fauche les âmes en les poussant vers l’avant, contrairement aux agriculteurs qui ramènent le blé vers eux. S’approcher de lui est donc extrêmement risqué : un simple geste de sa part vous précipite dans l’autre monde, et nul n’est jamais revenu pour raconter l’expérience.

Ses moyens de transport et ses serviteurs : 

Pour se déplacer, l’Ankou utilise une carriole tirée par deux chevaux squelettiques, ses coursiers de la mort. Sa charrette, appelée karriguel an Ankou, lui sert à transporter les corps des défunts vers l’autre monde. 

Cette charrette est vétuste, et les grincements sinistres de ses essieux peuvent être entendus par les curieux qui croisent son chemin. Mais ces bruits annoncent le pire des présages : quiconque entend cette mélodie funeste est certain de mourir dans l’année.

L’Ankou est assisté dans sa tâche par deux serviteurs : l’un s’occupe des chevaux, tandis que l’autre charge les corps collectés dans la charrette, permettant ainsi au faucheur de rester libre de ses mouvements. Cela s’avère utile si une âme égarée tente d’échapper à son attention.

Selon certaines légendes, l’Ankou était un homme avant de devenir le faucheur. On raconte parfois qu’il s’agit du dernier mort de l’année, en décembre, tandis que le premier mort de l’année suivante devient son serviteur jusqu’à la fin de l’année.

Les traditions autour de l’Ankou : 
Ankou

Lors de la nuit de Noël, l’Ankou a pour habitude de frôler de sa cape tous ceux qui mourront dans l’année à venir. Cet épisode, qui a lieu pendant la messe de minuit, est appelé dans la tradition bretonne « la Nuit des merveilles », en référence à ceux qui ne seront pas touchés par la mort durant l’année suivante.

Il existe une variante de cette légende dans les îles de Bretagne. Ici, ce n’est pas une charrette, mais une barque qui est utilisée par le passeur d’âmes. Il prend alors le nom de Bag Noz, le « bateau de nuit ». Dans cette version, c’est le dernier homme noyé de l’année qui endosse la profession de passeur pour l’année suivante.

La légende raconte également que lorsque l’Ankou charge un corps sur sa charrette ou sa barque, une lourde pierre est déchargée par l’un de ses serviteurs. Les villageois entendent alors le bruit d’un gros fracas, indiquant qu’une âme vient de quitter ce monde.

Dans de telles circonstances, les habitants récitent souvent une vieille phrase lors des veillées funèbres :

« La mort, le jugement, l’enfer froid, quand l’homme y songe, il doit trembler. »

Cette maxime rappelle à tous que la mort est inéluctable et qu’aucun être vivant n’y échappera. Cependant, elle invite aussi à bénir la grâce d’une journée supplémentaire loin du faucheur.

L’Ankou arpente les rues des villes et des campagnes durant la nuit, et il est déconseillé de s’aventurer hors de sa demeure à ces heures, particulièrement lors des nuits de pleine lune. On dit d’ailleurs que c’est pour cette raison que les chiens hurlent à la lune : ils perçoivent la présence du faucheur d’âmes rôdant à proximité.

Le reste du temps, l’employé de la mort vit dans son domaine des Monts d’Arrée, dans le Finistère. La forêt d’Huelgoat est considérée comme son territoire. Il est essentiel d’éviter les marais, les gorges de la rivière, les grottes, ainsi que les anciens sites mégalithiques qui parsèment la région, car on risque d’y croiser le faucheur se reposant entre ses sombres missions.

Enfin, bien que la légende de l’Ankou soit ancrée dans le folklore breton à une époque catholique, il ne fait aucun doute que cette superstition puise ses origines dans des légendes celtiques bien plus anciennes.

Analyse de la légende : 

Vous l’aurez compris, il est difficilement imaginable que l’Ankou ait réellement existé en tant que personne. Néanmoins, l’analyse symbolique de cette superstition est des plus intéressantes.

Tout d’abord, prenons en compte que l’Ankou est une sorte de condamné : il s’agit du premier mort de l’année ou du dernier mort de l’année précédente, qui endosse le rôle de messager de la mort. Cela en fait un revenant, un mort qui revient parmi les vivants pour exécuter une action. De la même manière que les vampires, certaines dames blanches, certains sorciers ou encore nécromanciens du bestiaire fantastique, l’Ankou appartient donc à la famille des revenants. Il possède une réalité corporelle dans le monde physique, ce qui le distingue des spectres ou fantômes, ainsi que des représentations classiques de la Grande Faucheuse.

Vous connaissez tous les représentations classiques de la mort : une entité invisible, imprévisible, souvent perçue comme un spectre ou une illusion fantomatique, qui vient prendre l’âme du défunt pour l’emporter vers l’au-delà, que ce soit l’enfer ou le paradis selon les traditions. Contrairement à cette vision immatérielle, l’Ankou est un être concret. Il est accompagné d’une charrette, de chevaux, et parfois de serviteurs, émettant des bruits sinistres renforçant l’angoisse de sa présence. L’Ankou, dans le folklore breton, possède donc une matérialité que les classiques spectres de la mort n’ont pas.

charon

Comparons maintenant l’Ankou avec la mythologie grecque. Dans cette dernière, on trouve le dieu de la mort, Thanatos, celui qui provoque la mort. À l’image de la Grande Faucheuse, il agit de manière invisible et inexorable. Cependant, Thanatos n’escorte pas les âmes vers l’autre monde. Ce rôle revient aux dieux psychopompes, tels Hermès, messager divin, ou Charon, le passeur du Styx. L’Ankou, dans son rôle, s’apparente davantage à ces figures de passeurs qu’à la Faucheuse, bien que la légende lui attribue parfois le pouvoir de « faucher » lui-même les âmes, notamment celles qui chercheraient à échapper à leur sort.

L’Ankou est donc une figure hybride, mêlant les rôles de passeur et de Faucheur. Mais il ne provient ni d’une mythologie celtique, ni d’une mythologie chrétienne. C’est une création des légendes populaires et des superstitions. Au Moyen Âge, l’Ankou était perçu comme une entité tangible, concrète, et non comme un concept abstrait ou cosmique. Cela influençait les comportements : on évitait de sortir la nuit ou lors de certaines périodes de l’année, par peur de croiser sa route.

La mort, en tant que préoccupation universelle de l’humanité, a été représentée dans toutes les mythologies et religions. Souvent, elle est personnifiée sous forme d’une Faucheuse squelettique, vêtue d’un manteau à capuche et munie d’une faux pour moissonner les âmes. Cette représentation quasi universelle se retrouve dans le judaïsme, le christianisme, et d’autres croyances anciennes.

Ce qui rend l’Ankou fascinant, c’est qu’il ne représente pas la mort elle-même, mais son messager. Il agit au service de la mort, et peut donc avoir une existence tangible. Cette tangibilité permet aux gens de concevoir des moyens de lui échapper. Contrairement à la mort invisible et inéluctable représentée par Thanatos ou la Grande Faucheuse, l’Ankou devient une figure plus rassurante et évitable. Il illustre parfaitement cet art des superstitions qui mélangent le quotidien et l’imaginaire, le visible et l’invisible.

En résumé, l’Ankou est une figure ambivalente et concrète, à mi-chemin entre le monde physique et le monde des légendes, et qui trouve son origine dans un mélange de traditions chrétiennes et d’héritages païens. Il incarne cette possibilité unique de « dialoguer » avec la mort, de la comprendre, et peut-être même de la défier.

Bibliographie :

  • Daniel Giraudon, Sur les chemins de l’Ankou : croyances et légendes de la mort en Bretagne
  • Le livre des superstitions, Eloise Mozzani
  • Les mystères de bretagne, Belser, Chamouton, Gravis, Blériot, Jigourel, Vaudrey.
  • Paul-Yves Sébillot, Mythologie et folklore de Bretagne
Ankou kaamelott

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