Les Lavandières de Nuit : les messagères de l’au-delà

Si les histoires de fantômes et de revenants sont légion au cinéma et dans les séries TV, faisant la part belle aux zombies, vampires ou autres entités spéciales, la Lavandière de Nuit est la grande oubliée des adaptations modernes. Et pourtant, George Sand écrivait à leur propos :

De la même façon que les autres créatures du folklore, la superstition des lavandières peut prêter à sourire en ce XXIᵉ siècle. Pourtant, dans les époques passées, c’était une toute autre affaire.

Une légende venue du fond des âges

La légende des lavandières de nuit appartient au folklore médiéval, mais elle possède une origine celtique. On trouve des récits les concernant dans toutes les régions d’Europe. Cependant, c’est en Écosse, en Irlande et en France que la légende est la plus présente. Les lavandières appartiennent à la famille des revenants. Ce sont des femmes maudites après leur mort à cause de leurs péchés, soit pour avoir violé les lois divines, soit pour d’autres mauvaises actions. Elles sont condamnées à battre le linge pour l’éternité. Elles sont appelées : « Bean Nighe » ou femme laveuse en Écosse, Bean Niochain en Irlande, Kannerez Noz en Bretagne, Gollière a Noz en Suisse, et encore Avandeira da Noite au Portugal.

Chaque région possède son propre terme, mais ils font toujours référence à une femme qui lave le linge au lavoir ou dans un ruisseau, le lieu de leur errance nocturne et de leur condamnation. La première particularité du mythe de la lavandière est qu’il ne concerne que les femmes. Il y a plusieurs raisons à cela, la plus simple étant que les tâches domestiques étaient quasi intégralement dévolues aux femmes durant les périodes médiévales et ce, jusqu’au début du XXᵉ siècle dans les sociétés occidentales. C’est d’ailleurs encore le cas dans de nombreux pays du monde. De prime abord, il ne s’agirait donc que d’un simple esprit féminin hantant les lavoirs ou d’autres points d’eau, comme l’évoque encore George Sand :

Pénitence et damnation éternelle

Sous cette apparente simplicité, le mythe des lavandières de nuit est en réalité complexe et recouvre plusieurs attributs et fonctions. Ce type de revenants est associé à différentes formes de condamnations, selon les fautes commises de leur vivant.

Lavandières de nuit

Le premier cas est celui des travailleuses du dimanche. Dans la société médiévale chrétienne, il était interdit de travailler le jour du Seigneur ou lors de la Semaine sainte. Les femmes ayant transgressé cette règle étaient condamnées, par-delà la mort, à travailler éternellement au lavoir en guise d’expiation.

Le deuxième cas concerne les lavandières malhonnêtes, celles qui accomplissaient leur travail de manière frauduleuse en remplaçant le savon par des pierres pour accélérer le lavage et économiser le savon. Ce procédé abîmait lourdement le linge, qui ne retrouvait jamais sa blancheur symbolique de pureté. En punition, ces femmes étaient condamnées à une tâche perpétuelle dans l’au-delà : laver du linge pour l’éternité dans le lieu même de leurs méfaits, sans jamais parvenir à le rendre propre.

Le troisième cas est plus grave, puisqu’il concerne les femmes infanticides ou meurtrières. Celles qui avaient tué leurs enfants ou assassiné leur mari étaient condamnées à laver des linceuls ou les corps de leurs victimes dans l’attente du Jugement dernier.

Un quatrième cas est lié aux rites funéraires. Une femme enterrée avec un linceul sale pouvait devenir une lavandière de nuit. Il en allait de même pour celles qui n’avaient pas correctement lavé le linceul de leur mari avant son inhumation. Elles devaient alors accomplir cette tâche après leur mort, soulignant l’importance des rites funéraires médiévaux.

On retrouve ici la notion de punition répétitive, similaire aux visions de l’enfer dans la mythologie grecque et, plus largement, dans les croyances indo-européennes. Ce concept a ensuite été intégré à la vision chrétienne de l’enfer.

La plus ancienne mention textuelle des lavandières de nuit remonte au VIIIᵉ siècle en langue gaélique. Toutefois, il est probable que le mythe puise ses origines dans la mythologie celtique et les traditions populaires, ce qui expliquerait son vaste rayonnement. Les croyances entourant ces figures du folklore ont perduré jusqu’au XXᵉ siècle, faisant de la lavandière de nuit l’un des mythes de revenants les plus vivaces. Nous sommes ici dans le cadre d’une société chrétienne, où le péché originel est intrinsèquement associé à la nature féminine. Il est probable que des mythes d’origine païenne, notamment ceux liés aux fées des sources ou aux vouivres, aient évolué avec l’essor du christianisme, se transformant progressivement en récits de fantômes féminins maléfiques. Certains motifs de condamnation des lavandières de nuit rappellent les accusations portées contre les femmes prétendument sorcières par l’Inquisition :

  • Non-respect des dogmes religieux,
  • Infanticide ou assassinat,
  • Pratiques considérées comme hérétiques.

Dans cette optique, on peut établir une analogie et considérer la lavandière de nuit comme le fantôme d’une femme assimilée à une sorcière. Bien entendu, l’Église catholique ne reconnaît pas l’existence des lavandières de nuit en tant que telles. Pour les théologiens, ces apparitions ne sont rien d’autre que des démons prenant l’apparence de femmes décédées. Néanmoins, dans le folklore populaire, en partie hérité des croyances païennes, ces récits ont conservé une grande vitalité à travers les siècles.

Échos des légendes régionales

La légende des lavandières est très présente en France, avec de nombreuses spécificités régionales. En Bretagne, elles étaient vêtues de blanc et battaient le linge dans les lavoirs ou les ruisseaux lors des nuits de pleine lune, en particulier la veille de la Toussaint – ou Halloween, l’ancienne fête de Samain des traditions celtiques.

Les récits nous mettent en garde : le passant attiré par le bruit du battoir pouvait s’approcher du lavoir et rencontrer la lavandière, qui dissimulait son visage maléfique. Elle sollicitait alors l’âme égarée et lui demandait son aide pour essorer un linge ruisselant de sang. Si l’imprudent acceptait, il était pris au piège : au moment de l’essorage, la lavandière lui brisait le bras avant de l’étrangler avec le linge. Pour échapper à ce sort funeste, il fallait tourner le linge dans le même sens qu’elle, ce qui la décourageait et l’amenait à abandonner son projet meurtrier.

En Vendée, les lavandières, aussi appelées chanteuses de nuit, ensorcelaient les passants qui s’arrêtaient pour les écouter battre le linge. Tout comme les sirènes, elles profitaient de leur confusion pour les attirer et les noyer dans le lavoir. Dans les Deux-Sèvres, il fallait se méfier des ponts la nuit, car les lavandières pouvaient y apparaître et, en faisant tournoyer leur linge, déclencher de puissantes bourrasques capables de précipiter un voyageur dans l’eau, où elles le noyaient sans pitié.

Dans les Corbières, elles vivaient dans des grottes et sortaient la nuit pour battre le linge. Certains villageois intrépides tentaient de les suivre lorsqu’elles regagnaient leur repaire, car on disait qu’elles amassaient les butins de leurs crimes et veillaient sur des trésors cachés.

Considérées comme des créatures du Diable, elles possédaient la faculté de prendre une apparence séduisante pour attirer les imprudents vers les cours d’eau. De nombreuses noyades mystérieuses furent ainsi attribuées aux lavandières dans toutes les régions.

Sous le nom de chanteuses de nuit, leur légende rappelle celle des sirènes de la mythologie grecque, attirant les marins vers une mort certaine. Le lien avec l’eau est ici fondamental. Dans le même esprit, le fait que les lavandières n’attaquent que les hommes fait écho aux mythes des succubes ou des lamies de l’Antiquité. Toujours cet esprit sous une forme belle et séduisante, cherchant à dévorer ou à s’emparer de l’énergie vitale d’un humain.

En ce sens, la superstition des lavandières de nuit n’est qu’un avatar de croyances plus anciennes, réactualisées dans le folklore chrétien de l’Europe médiévale.

Entre présage funeste et gardiennes de l’Au-delà

La légende des lavandières de nuit pouvait avoir des fonctions plus complexes que la simple punition des âmes damnées. Elles étaient parfois des annonciatrices de la mort, à l’image des Dames Blanches ou des Banshees en Irlande.

Rencontrer une lavandière était toujours de mauvais augure : c’était un message funeste annonçant un décès imminent, que ce soit pour celui qui la croisait ou pour un proche. Dans cette perspective, la lavandière se rapproche aussi de la pleureuse, une figure féerique qui se lamente sur les linceuls des morts.

Dans ces récits, ses offices nocturnes ne sont plus une punition, mais un acte de compassion envers les défunts. Elle pleure les morts tombés à la guerre sans sépulture ou les enfants non baptisés errant dans les limbes. Le symbole de l’eau est ici fondamental. Dans les traditions celtiques, l’eau représente la frontière entre notre monde et l’Autre-Monde, le royaume des morts. C’est pour cette raison que, dans de nombreuses légendes, les revenants – et notamment les vampires – sont incapables de franchir les ruisseaux d’eau vive. On retrouve cette même symbolique dans le Styx des mythes grecs ou dans l’île d’Avalon des légendes arthuriennes. Dans ce contexte, la lavandière devient une gardienne de l’Autre-Monde, une tisseuse du destin présidant à l’entrée du royaume des morts, un rôle proche de celui des anciennes déesses psychopompes.

Comme on le voit, le mythe de la chanteuse de nuit hantant les lavoirs et autres points d’eau n’est que la partie émergée d’une croyance bien plus ancienne et complexe. Si l’on s’intéresse aux lieux de culte mariaux dédiés à la Vierge, certains éléments communs apparaissent. Il y a toujours une source ou un point d’eau, souvent associé à d’anciennes croyances liées aux fées des sources, aux Dames blanches ou aux vouivres qui précédaient le christianisme. Ces figures ont perduré dans les légendes populaires. La Dame des sources est bienveillante, tout comme la Vierge Marie, tandis que la lavandière de nuit incarne la fée négative, celle qui hante la frontière entre les mondes. L’eau est toujours une barrière dans les mythologies. La lavandière est donc une âme restée coincée sur cette frontière, ce qui explique sa présence systématique aux abords des cours d’eau. Alors, que penser de cette croyance qui a persisté jusqu’au début du XXᵉ siècle ?

Au XIXᵉ siècle, George Sand, passionnée par les légendes du folklore, écrivait :

Faut-il alors voir dans les lavandières de nuit une simple méprise, une légende née d’un bruit nocturne mal interprété ?

L’hypothèse de la grenouille semble bien légère. Les hommes du passé, vivant en milieu rural, avaient une connaissance bien plus fine de la nature que les citadins du XIXᵉ ou du XXᵉ siècle.

Cela ne signifie pas pour autant que les lavandières existent, mais il est permis de douter que leur mythe repose uniquement sur un bruit animal. D’autres explications, relevant de la psychologie humaine et des peurs collectives, semblent plus adaptées… À moins, bien sûr, que ces légendes ne dissimulent une part de réalité. Je n’ai pas de réponse à apporter. Chacun est libre de croire… ou de ne pas croire.

Conclusion

Les lavandières de nuit appartiennent à cet univers du folklore où la frontière entre mythe et réalité demeure incertaine. Figures inquiétantes et ambivalentes, elles oscillent entre la simple âme damnée, la messagère de l’au-delà et la passeuse d’âmes, perpétuant ainsi un héritage ancestral enraciné dans les croyances païennes et chrétiennes.

Leur présence persistante dans les récits populaires jusqu’au XXᵉ siècle témoigne de la force des superstitions liées à la nuit, aux eaux dormantes et aux âmes errantes. Comme d’autres légendes de revenants, elles cristallisent les angoisses humaines face à la mort, à la transgression et au jugement divin.

Aujourd’hui, si ces histoires ont perdu leur pouvoir sur l’imaginaire collectif, elles conservent un parfum de mystère. Peut-être parce qu’au fond, nous ne sommes jamais totalement insensibles à l’idée que, par une nuit brumeuse, sur les berges d’un ruisseau oublié, résonne encore le battement sourd d’un battoir invisible…

Bibliographie 

  • François-Marie Luzel, Fantômes et dames blanches
  • Éloise Mozzani, Le livre des superstitions
  • George Sand, Légendes rustiques
  • Collin de Plancy, Dictionnaire infernal
  • Daniel Giraudon, Lavandières de nuit

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