Dans la tradition musulmane et le Coran, la légende d’Iram, la cité aux mille piliers, occupe une place particulière. Présentée comme la cité du vice et du péché, il est essentiel de rechercher les éléments historiques derrière ce message religieux. Voici un extrait du Coran :
“N’as-tu pas médité la façon dont ton Seigneur a traité Ad, Iram aux colonnes en hauteur [qui était] telle que jamais il n’en fut créé de semblable dans le pays.”
Sourate 89 Al Fajr
Selon la mythologie, la ville fut construite par Ad, l’arrière-petit-fils de Noé. Des siècles plus tard, elle devint un lieu de débauche. Les habitants idolâtraient de nombreuses divinités et pratiquaient les sciences occultes, considérées comme le plus grave des péchés dans les religions monothéistes. Le prophète Houd tenta d’exhorter le roi Shaddad à changer de mode de vie, mais sans succès. Allah déchaîna alors des vents violents et un tremblement de terre, faisant disparaître la ville sous les sables, donnant naissance à la légende de l’Atlantide des sables. Voici les extraits du Coran relatant cette histoire :
“Et quant aux ‘Ad, ils furent détruits par un vent mugissant et furieux que [Allah] déchaîna contre eux pendant sept nuits et huit jours consécutifs ; tu voyais alors les gens renversés par terre comme des souches de palmiers évidées. En vois-tu le moindre vestige ?”
Sourate 69 Al Haqqa
“Et (nous avons envoyé) aux ‘Ad, leur frère Hūd, qui leur dit : ‘Ô, mon peuple, adorez Allah. Vous n’avez point de divinité à part lui. Vous n’êtes que des forgeurs (de mensonges). Ô, mon peuple, je ne vous demande pas de salaire pour cela. Mon salaire n’incombe qu’à celui qui m’a créé. Ne raisonnez-vous pas ? Ô mon peuple, implorez le pardon de votre Seigneur et repentez-vous à lui pour qu’il envoie sur vous du ciel des pluies abondantes et qu’il ajoute force à votre force. Et ne vous détournez pas [de lui] en devenant coupables’. Ils dirent : ‘Ô, Hūd, tu n’es pas venu à nous avec une preuve, et nous ne sommes pas disposés à abandonner nos divinités sur ta parole, et nous n’avons pas foi en toi. Nous dirons plutôt qu’une de nos divinités t’a affligé d’un mal.’ Il dit : ‘Je prends Allah à témoin – et vous aussi soyez témoins – qu’en vérité, je désavoue ce que vous associez, en dehors de lui. Rusez donc tous contre moi et ne me donnez pas de répit. Je place ma confiance en Allah, mon Seigneur et le vôtre. Il n’y a pas d’être vivant qu’il ne tienne par son toupet. Mon Seigneur, certes, est sur un droit chemin. Si vous vous détournez… voilà que je vous ai transmis [le message] que j’étais chargé de vous faire parvenir. Et mon Seigneur vous remplacera par un autre peuple, sans que vous ne lui nuisiez en rien, car mon Seigneur est gardien par excellence sur toute chose. Et quand vint Notre Ordre, nous sauvâmes par une miséricorde de notre part, Hūd et ceux qui avec lui avaient cru. Et nous les sauvâmes d’un terrible châtiment. Voilà les ‘Ad. Ils avaient nié les signes (enseignements) de leur Seigneur, désobéi à ses messagers et suivi le commandement de tout tyran entêté. Et ils furent poursuivis, ici-bas, d’une malédiction, ainsi qu’au Jour de la Résurrection. En vérité, les ‘Ad n’ont pas cru en leur Seigneur. Que s’éloignent (périssent) les ‘Ad, peuples de Hūd !’ “
Sourate 11 Hud
La destruction d’Iram rappelle davantage celle de Sodome et Gomorrhe du récit hébraïque que la disparition de l’Atlantide de Platon. Le texte coranique, en grande partie issu de la tradition hébraïque, contient des mythes similaires aux deux traditions. Le Coran relate également la destruction de Sodome et Gomorrhe dans un mythe distinct. Comparons cette légende avec celle de Sodome et Gomorrhe dans la Bible.
Abraham et Loth, descendants de Noé, vivaient dans la région du Jourdain après avoir quitté Ur. Cinq villes se trouvaient en Canaan : Sodome, Gomorrhe, Adama, Séboïm et Zoar. Pendant douze ans, elles versèrent un tribut au roi local. Au treizième an, elles refusèrent de payer, ce qui déclencha une expédition punitive. Les villes furent pillées et leurs habitants soumis, dont Loth, neveu d’Abraham.
Dieu, voyant la débauche des habitants, envoya deux anges vérifier la situation. Arrivés à Sodome, ils furent accueillis par Loth, mais les hommes de la ville exigèrent qu’il leur remette les étrangers. Loth proposa ses filles vierges en échange, mais ils refusèrent. Dieu, convaincu des crimes des habitants, détruisit Sodome et Gomorrhe par une pluie de soufre et de feu :
“Le soleil se levait sur la terre quand Lot entra dans le Tsoar. Alors l’Éternel fit tomber sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu ; ce fut l’Éternel lui-même qui envoya du ciel ce fléau. Il détruisit ces villes et toute la plaine, et tous les habitants de ces villes. La femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une statue de sel. Abraham se leva de bon matin et se rendit à l’endroit où il s’était tenu en présence de l’Éternel. De là, il tourna ses regards du côté de Sodome et de Gomorrhe et vers toute l’étendue de la plaine ; et il vit monter de la terre une fumée, semblable à la fumée d’une fournaise.”
La destruction d’Iram est semblable à celle de Sodome et Gomorrhe. Le texte coranique, comme la mythologie hébraïque, utilise des éléments historiques pour construire le mythe de la victoire de Dieu. Pendant longtemps, les historiens et archéologues n’ont pas accordé de crédit à la légende d’Iram. Cependant, des recherches récentes ont fait resurgir la ville dans l’histoire.
Des archives anciennes trouvées à Ebla en Syrie mentionnaient la ville sous le nom d’Iram, confirmant son existence vers 2000 av. J.-C., contemporaine de la civilisation babylonienne. La cité aux piliers devient ainsi une réalité historique, mais son emplacement restait à découvrir. Nicolas Clapp, archéologue amateur, entreprit des recherches basées sur les travaux de Bertram Thomas, auteur de “Arabia Felix” (1932). En 1984, des photographies spatiales prises par la navette Columbia permirent d’identifier plusieurs sites archéologiques potentiels.
L’un des sites fut identifié dans les années 90 dans la province de Dhofar, Oman, comme étant la cité d’Ubar ou Iram. Contrairement à d’autres cités légendaires, Iram n’est pas seulement une légende. La tradition orale des bédouins parlait de la légendaire cité d’Ubar, et les anciennes routes caravanières menaient à cette cité disparue, engloutie par le sable.
Les fouilles archéologiques révèlent une grande place publique et des fortifications pour se protéger des tribus nomades. La ville, datant d’environ 3000 av. J.-C., était une forteresse commerciale, carrefour d’échanges entre l’Empire suméro-akkadien et l’Inde. Les vestiges de huit tours gigantesques et des murs de 9 mètres de hauteur témoignent de son importance stratégique. Les grandes constructions datent du XVIe siècle av. J.-C., époque de la civilisation minoenne, de l’ancien Empire babylonien et du nouvel Empire égyptien.
La chute de la cité, probablement vers 350 av. J.-C., serait due à l’effondrement des systèmes d’acheminement d’eau, la ville étant construite sur une oasis. Iram, la “cité aux hautes colonnes”, fut engloutie par le sable, laissant des traces dans la tradition orale et la mythologie islamique. Thomas Edward Lawrence, alias Lawrence d’Arabie, surnomma la ville “l’Atlantide des sables”. Contrairement à une grande cité de la haute Antiquité, Iram était une enclave fortifiée, lieu de commerce entre les grands empires. La population variait de 300 à 500 habitants selon les saisons et les périodes de transit commercial.
Pour mieux comprendre l’émergence d’une civilisation dans le Sud arabique à partir de 700 av. J.-C., il faut étudier une autre légende biblique : celle de Salomon et de la reine de Saba. Selon la Bible, Salomon régna sur Israël vers 950 av. J.-C., édifia le temple de Salomon et fréquenta la reine de Saba, dirigeante du royaume du même nom. Cependant, cette histoire est contestée historiquement.
La Bible, écrite vers le VIIe siècle av. J.-C. pendant le règne de Josias, intègre le passé glorieux de Babylone dans le récit biblique. Le royaume de Saba existait à partir du VIIe siècle av. J.-C., trois cents ans après Salomon. Le pays de Saba, situé dans le Sud de l’Arabie ou en Éthiopie, correspond à la légendaire Iram.
Voici un extrait de la Bible :
“… avec des chameaux portant des épices, et beaucoup d’or et de pierres précieuses. Jamais après n’arriva une telle abondance d’épices que celles qu’elle donna à Salomon. Durant sa visite, elle posa au roi de nombreuses questions auxquelles ce dernier répondit correctement. Ils échangèrent des cadeaux, après quoi elle retourna dans son pays.”
Livre des Chroniques
Ce texte, écrit au retour de l’exil de Babylone, illustre le commerce entre Saba ou Iram et Babylone. La légende d’Iram montre que la mythologie peut contenir une part de réalité. Les mythes anciens, amplifiés avec le temps, laissent des traces dans les mémoires. L’avènement des religions du Livre a relégué ces contes à une forme métaphorique, rendant difficile la distinction entre mythe et réalité. Aujourd’hui, plusieurs sites archéologiques, dont celui d’Iram, peuvent être étudiés pour révéler les vérités historiques dissimulées dans les mythes.

Bibliographie :
- Les civilisations oubliées, Ludovic Richer
- Arabia Felix, Bertram Thomas
- Les Arabes dans l’Histoire, Bernard Lewis
- Les contes des mille et une nuits
- Le Coran
- Atlantis of the Sands: The Search for the Lost City of Ubar