La forêt de Brocéliande est réputée pour être le cadre de nombreuses aventures liées au cycle des légendes arthuriennes. Ce serait le territoire des fées Morgane et Viviane, du druide Merlin, et de nombreux chevaliers y vivront des aventures fascinantes dans ce labyrinthe naturel, comme Yvain, Lancelot ou encore le chevalier Ponthus…
Brocéliande serait l’un des derniers sanctuaires de la tradition celtique, le pays des fées et du petit peuple de Bretagne, où les créatures du folklore évoluent. De fait, c’est un territoire de magie et de sorcellerie. Mais la forêt de Brocéliande ne fut pas simplement une terre de légendes. Des histoires bien réelles s’y sont déroulées, notamment les aventures insolites d’Éon de l’Étoile, un personnage atypique qui a durablement marqué la région.
Éon, le bandit de Brocéliande
La première difficulté entourant le personnage concerne les nombreuses incertitudes sur sa vie, à commencer par sa naissance, dont la date ne nous est pas connue. Éon, ou Eudon, serait né dans la ville de Loudéac, dans les Côtes-d’Armor, au sein d’une famille de petite noblesse. Une autre version affirme qu’il serait né dans le petit village de Concoret, soit sur les terres de Brocéliande. Dans tous les cas, c’est ce second lieu qui nous intéressera pour la suite de ses aventures…

D’après les différentes sources, Éon aurait rejoint un monastère ou un ermitage augustinien à proximité de Concoret et en serait devenu le prieur. Éon serait donc un homme d’Église ou, du moins, quelqu’un qui en avait pris le chemin. Les quelques descriptions du personnage le présentent comme relativement peu instruit et ne maîtrisant pas l’écriture, des éléments qui poseront problème pour la suite de cette histoire. Notons qu’Éon ne fut jamais présenté comme un érudit, bien au contraire. Nous ne savons pas à quelle période Éon prend le chemin du monastère, mais c’est à partir des années 1144 ou 1145 qu’il quitte son ermitage et se lance dans des activités bien différentes de la prière et de la méditation. Les raisons de son départ ne sont pas connues, mais nous pouvons invoquer des divergences théologiques, une soif d’aventure ou encore quelques affaires diaboliques ?
L’une des explications possibles à sa défection de l’Église serait la mise en place de la réforme grégorienne, un élément qui va largement affecter la vie des ecclésiastiques de l’époque. Bien qu’instaurée à la fin du XIe siècle, cette réforme mettra du temps à s’implanter dans les campagnes. L’une des principales nouveautés de cette réforme était le célibat obligatoire pour les prêtres, car, oui, auparavant, les hommes d’Église pouvaient se marier et avoir une famille. Beaucoup de prêtres refuseront de se soumettre et, à l’instar d’Éon, abandonneront leur engagement religieux. Dans tous les cas, Éon va commencer une vie de marginal. Il se livre aux pillages et à la destruction d’églises, de monastères, de châteaux et d’abbayes dans la région de Brocéliande. Mais il n’est pas seul : pour l’aider dans ses actions, il recrute massivement et avec grand succès, aussi bien chez les habitants locaux, notamment du village de Concoret, dont nous reparlerons, que chez les ermites et moines de la région, désabusés par leur mode de vie ou séduits par le charisme d’Éon.
La troupe de voleurs que nous appellerons les « Éoniens » s’installe, d’après les sources, dans le secteur de Concoret et de la fontaine de Barenton, lieu très connu du légendaire arthurien et dont les eaux auraient des vertus médicinales en lien avec les forces telluriques. Selon les récits locaux, c’est au lieu-dit Haligan, proche de Concoret, que la troupe implante son campement. Les Éoniens ainsi constitués vont sévir pendant près de quatre années, et, à ce stade, nous pourrions penser qu’il s’agit simplement d’une bande de voleurs, comme il en existait tant d’autres dans les forêts du XIIe siècle. Pourtant, il y a quelques nuances. Déjà, Éon, à la façon d’un Robin des Bois breton, s’attaque particulièrement aux riches et encore plus à l’Église. Cependant, afin d’éviter tout romantisme, Éon et sa bande se sont également livrés à quelques massacres parmi la population, et notons également qu’il n’avait pas pour ambition de partager le fruit de ses butins avec les pauvres villageois désargentés.
Pour ce qui est de son surnom de « Seigneur de l’Étoile », Il n’existe aucune explication certaine :
- L’abbé Manet, dans Histoire de la Petite Bretagne, affirme que c’est à cause de sa folie qu’il fut surnommé ainsi.
- Certains récits populaires lui prêtent ce nom en référence au fait qu’il dormait à la belle étoile, régnant ainsi sous les astres.
- Félix Bellamy, dans son essai sur le personnage, pose l’hypothèse que cela pourrait être en rapport avec des activités ésotériques : « Serait-ce parce que, se livrant à la magie,
- à l’astrologie et aux arts occultes, il interrogeait la nuit le cours des astres ? »
Dans tous les cas, Éon de l’Étoile ne fut pas qu’un simple brigand…
Éon, le sorcier de Brocéliande
Éon de l’Étoile n’était pas seulement le chef d’une bande de pillards, il était aussi à la tête d’un mouvement hérétique ou d’une secte religieuse basée sur des concepts millénaristes et eschatologiques. L’ancien ermite devenu Éon de l’Étoile se prétendait « le Fils de Dieu » et affirmait que c’est par lui que les vivants et les morts seraient jugés à la fin des temps. Son charisme et son aura lui avaient permis de rallier de nombreux fidèles, rejetés ou déçus de la société dans laquelle ils vivaient. Éon était leur nouveau messie. Il avait pris le rôle de grand prêtre, accomplissait des rites hérétiques, volait les biens de l’Église et des riches demeures de Brocéliande. Il organisait de grands banquets avec sa troupe, se parait des plus belles richesses et se livrait à des orgies scabreuses.
Histoire et légende se mêlent allègrement, mais la tradition populaire a gardé un souvenir haut en couleur du personnage ! Ce qui est certain, c’est qu’Éon de l’Étoile avait créé toute une organisation cléricale. Il nommait des évêques et archevêques parmi ses hommes, et tous portaient le pseudonyme d’un ange ou d’un archange, faisant d’eux les élus de la cosmogonie du sorcier-prophète de Brocéliande. Voici une citation sur l’organisation mystique d’Éon :
« Ses disciples, Éon les rangeait en catégories, les qualifiait de Chérubins, d’Apôtres, de Saints ; il donnait à chacun des noms d’anges et d’apôtres et des dénominations magnifiques qu’ils avaient l’aveuglement de prendre au sérieux ; il appelait les uns : Science, Domination, Terreur, Sagesse, Jugement, et ainsi des autres ; imitant sans le savoir, sans doute, l’hérésiarque Valentin, l’un des chefs de l’hérésie des Gnostiques. »
Rapidement, la réputation d’Éon de l’Étoile dépasse largement les territoires de Brocéliande et même de la Bretagne. Certains de ses disciples se retrouvent en Poitou et en Normandie. De plus, Éon est insaisissable. Ses disciples, capturés par les autorités, préfèrent endurer mille souffrances plutôt que de dénoncer leur maître. Par dévotion ou par peur ? Difficile de trancher. Des hommes d’armes sont envoyés par les seigneurs locaux pour pourchasser et capturer la troupe, mais le talentueux prédicateur leur file toujours entre les doigts. Pire encore, lorsqu’ils finissent par le débusquer, Éon leur offre mille richesses, et bien souvent, les soldats changent de camp pour grossir les rangs des Éoniens. Face à cette suite d’événements, il est naturel que les contemporains d’Éon répandent la rumeur selon laquelle l’ancien ermite de Concoret aurait obtenu des pouvoirs magiques en faisant un pacte avec le Diable.
Les récits et la tradition populaire, notamment transmis par Guillaume de Newburgh, contemporain des événements, nous rapportent qu’Éon de l’Étoile possédait de grands pouvoirs :
- Il pouvait se déplacer instantanément de la Bretagne au Poitou.
- Il faisait apparaître richesses et mets raffinés par sa seule volonté et abreuvait largement ses hommes, soumis à son pouvoir de suggestion.
- Il contrôlait les démons et pouvait les invoquer à sa guise.
Un épisode célèbre raconte qu’Éon fit kidnapper une demoiselle de Montcontour, qui se refusait à lui, en invoquant une nuée de démons métamorphosés en alouettes. Les créatures l’enlevèrent dans les airs avant de la précipiter sur des rochers, où elle périt. Une autre fois, toujours d’après la légende de Guillaume de Newburgh, un membre de la famille d’Éon, assisté d’un serviteur, prit le chemin de Brocéliande afin de tenter de ramener Éon de l’Étoile dans le droit chemin. Il chercha à le raisonner, lui demandant de mettre fin à ses pillages et à ses exactions contre l’Église. Éon refusa et leur proposa moult richesses en guise d’argument. Le parent d’Éon rejeta catégoriquement l’offre, mais son serviteur, séduit par tant de merveilles, accepta un bel épervier en cadeau. Sur le chemin du retour, le parent d’Éon avertit son serviteur qu’il n’aurait pas dû accepter ce présent, car il s’agissait d’un démon métamorphosé. Quelques secondes plus tard, l’oiseau révéla sa véritable nature, saisit le poignet du serviteur et s’éleva violemment dans les cieux. On ne revit jamais le serviteur…
Il est difficile de discerner ce qui est vrai et mythique dans toute cette affaire, mais ce qui ne fait pas de doute, c’est que les habitants de Brocéliande y croyaient, ce qui ne pouvait que renforcer les prétentions mythiques d’Éon de l’Étoile. De nos jours, certains prétendent qu’Éon aurait tenté de revitaliser l’ancienne religion des druides. Le fait qu’il se soit établi en forêt de Brocéliande, et encore plus aux abords de la fontaine de Barenton, renforce cette croyance dans l’imaginaire. Cependant, cela ne correspond pas vraiment aux aspirations mystiques du sorcier de Brocéliande. Voici une citation de Félix Bellamy sur la question :
« Quelqu’un, dit l’abbé Mahé, a prétendu que le but d’Éon était de rétablir le druidisme. On ne voit guère ce qui a pu suggérer une pareille idée qui, si elle avait quelque fondement, relèverait un peu le caractère d’Éon. Cette supposition, dit Levot, a peut-être pour origine l’affection d’Éon pour la forêt de Brécilien et la fontaine de Barenton. Mais il ne suffit pas de vivre dans les profondeurs des bois avec une troupe de spadassins ; de se donner rendez-vous près d’une fontaine magique ; de se livrer à des pratiques de sorcellerie ; de tuer parfois son semblable, soit par amour de son bien, soit par amour d’Esus ou de tout autre dieu sanguinaire, pour être réputé sectateur des druides. S’il n’y avait que cela dans le druidisme, cette religion serait encore vivace, au moins dans le cœur de bien des gens ; mais c’est tout un système de philosophie, et comme le dit le chanoine Mahé, celui qui se donnait comme le Fils de Dieu et le juge des vivants et des morts, ne peut guère être considéré comme un adepte des druides. D’ailleurs, aucun document historique ne vient donner appui à cette opinion. »
D’autres ont tenté de faire des rapprochements avec les gnostiques de l’Antiquité. Cela est déjà beaucoup plus cohérent que pour le druidisme. Le premier point d’accroche est le nom d’Éon lui-même, qui fait écho aux Éons de la tradition gnostique. Ensuite, le fait qu’il insiste sur les figures angéliques traduit une certaine aspiration ésotérique au sein de son enseignement. Si la théorie reste fragile, elle n’est pas impossible. Il reste à savoir comment Éon aurait pu avoir accès aux textes ou à l’enseignement de la tradition gnostique. L’argument en faveur de cette thèse serait le grand nombre d’hérésies gnostiques qui apparaissent à cette époque charnière de l’histoire. Éon aurait alors possiblement développé son propre modèle de gnose, précédant les cathares du sud de la France. Malheureusement pour lui, son aventure allait prendre fin au bout de quelques années.
Le procès d’Éon de l’étoile
Après trois ans d’activités de pillage, de destruction et de diablerie, la chute du sorcier de Brocéliande allait intervenir en 1148. Le pape Eugène III organisait un concile dans la ville de Reims, notamment pour combattre le réveil des hérésies, et nous allons y retrouver Éon de l’Étoile qui y sera jugé. Il existe plusieurs versions sur la capture d’Éon et de ses disciples. Certains pensent que la troupe sévissait dans la région de Reims lors du concile, mais cela est peu probable étant donné qu’il n’existe aucune mention de rapine ou d’exaction par ce groupe dans ce secteur, qui, d’ailleurs, est bien éloigné de la Bretagne. L’autre hypothèse, bien plus réaliste, est que le sorcier fut capturé par les troupes de l’évêque de Saint-Malo, Jean de Châtillon. Le sorcier de Brocéliande fut probablement capturé quelque temps avant le concile et sera envoyé opportunément à Reims pour y être jugé devant le pape. Il faut dire que l’hérésie d’Éon avait fait beaucoup de bruit et que l’Église devait marquer le coup pour enrayer les tentatives d’organisation des hérésies, ce qui sera un échec, car celles des Vaudois et des Cathares étaient en pleine germination à la même époque.
Dans tous les cas, Éon sera conduit devant l’assemblée du concile pour présenter ses positions. Or, surprise, bien loin de se défendre : Éon arrive dans l’enceinte avec un bâton orné de nombreux symboles kabbalistiques, donc diaboliques, et pour ne rien arranger, le sorcier de Brocéliande proclame haut et fort devant toute l’assemblée qu’il est le fils de Dieu et que de lui seul dépend le sort des vivants et des morts… Pure folie, habile stratagème, croyance aveugle… nous y reviendrons ! Voici un extrait des déclarations d’Éon devant le concile :
« Le président de l’assemblée lui demanda qui il était ; Éon lui répondit gravement : Je suis celui qui doit juger les vivants et les morts. Le président, lui voyant en main un bâton fourchu, voulut en connaître la signification. Éon répondit : C’est ici un grand mystère, quand les pointes de ce bâton sont tournées vers le ciel, Dieu est en possession des deux tiers du monde et me laisse maître de l’autre tiers, mais si je tourne ces fourchons vers la terre, j’entre en possession des deux tiers du monde et je n’en laisse qu’un tiers à Dieu. »
Tout porte à croire, à ce moment-là, que le destin du sorcier de Brocéliande est de finir sur le bûcher ! C’était la condamnation pour hérésie et les déclarations d’Éon de l’Étoile ne pouvaient pas être plus hérétiques… Mais il n’en fut rien…
Éon de l’Étoile ne sera pas déclaré hérétique, mais dérangé d’esprit ou, plus simplement, fou… ce qui, accessoirement, était peut-être vrai. Mais de ce fait, il sera condamné à l’isolement et échappera aux flammes du bûcher. Notons que cela était conforme au droit canon, qui ne brûle pas les fous mais les place hors de la société pour leur bien et celui des autres. Contrairement à de nombreuses idées reçues, l’Église ne brûlait pas à tout-va. Certes, il est vrai que nous ne sommes pas encore à la période de la chasse aux sorcières, et il est peu probable qu’Éon aurait pu en réchapper dans ces conditions. Après son procès, Éon de l’Étoile sera enfermé dans une tour et remis à l’autorité de l’abbé Suger de Saint-Denis. Il va néanmoins mourir en détention peu de temps après, peut-être en raison de mauvais traitements, mais sans aucune certitude…
Du côté des disciples du sorcier, ceux qui furent capturés et remis au bras de la justice séculière, il leur fut exigé qu’ils renoncent à leur hérésie, mais la plupart refusèrent (de la même façon que les Cathares, qui préféreront le bûcher plutôt que d’abjurer leur foi). Voici un extrait de Félix Bellamy sur la question :
« Un de ses disciples poussa si loin le blasphème et se montra si inexcusable dans ses fureurs qu’on fut obligé de le livrer au bras séculier pour l’exemple. Éon l’avait appelé le Jugement, comme il en avait appelé un autre la Sagesse, les désignant tous sous des noms magnifiques. Le Jugement fut donc condamné au feu, quelque menace qu’il fît à ses juges d’en tirer promptement une terrible vengeance. Étant conduit au supplice, il criait souvent : terre, terre, ouvre-toi ; et il attendait qu’elle s’ouvrît réellement. On offrit la vie à d’autres, que leurs pilleries et la profanation des choses saintes ne rendaient pas moins dignes de mort. Mais parce que c’était à condition qu’ils renonçassent à leur chef et à ses visions, le charme de la séduction l’emporta : ils aimèrent mieux mourir que de changer. Le reste fut dissipé. »
Fanatisme ou véritable foi, libre à vous de juger. Si l’histoire d’Éon de l’Étoile se termine, sa pensée mystique va-t-elle mourir avec lui ? C’est la question qui va nous intéresser, mais pour y répondre, il nous faut revenir aux sources : dans la forêt de Brocéliande et plus précisément dans le village de Concoret.
Concoret, le village des sorciers
L’histoire des Éoniens est-elle vraiment terminée avec la mort du sorcier ? Eh bien, pas tellement ! Revenons quelques années plus tôt. Éon de l’Étoile avait de nombreux disciples et beaucoup d’entre eux se trouvaient dans la région de Concoret. De fait, les habitants du lieu ont acquis la réputation d’être des sorciers. Les récits de l’époque nous parlent de la présence de loups-garous et de diablerie dans le secteur de Haligan, et ce, même après la disparition du maître de la secte d’hérétiques. Voici une citation de Félix Bellamy :
« Les pratiques nocturnes, suspectes et souvent peu édifiantes du seigneur de l’Étoile et de sa bande aux alentours de Barenton, entretinrent cette croyance que les garous, les sorciers, et toutes ces incarnations des esprits malins aimaient à rôder dans ces parages, et contribuèrent à jeter sur ces lieux un mauvais renom de sorcellerie, dont les habitants de Concoret, bourgade voisine de la forêt et de Barenton, sont encore victimes aujourd’hui, car on les appelle des sorciers, les sorciers de Concoret, comme on dit. Éon, probablement, n’était pas sans quelques accointances avec les gens de Concoret. Un village de cette paroisse porte encore le nom de la Rue Éon, soit parce que notre Éon y reçut le jour, comme le rapporte le chanoine Mahé, soit parce qu’il y habita tout simplement, soit par tout autre motif. Le chef de bande y fit vraisemblablement de bonnes recrues, le sorcier y forma des initiés et y trouva des compères. C’est là sans doute l’origine du sobriquet qu’on inflige, même de nos jours, à leurs descendants. Ne leur trouverait-on point aussi quelques successeurs ? »
Après l’arrestation d’Éon de l’Étoile, les disciples qui n’avaient pas été capturés furent pourchassés pendant plusieurs années. Certains ont fui jusqu’en Gascogne, en Espagne et en Italie. L’hérésie des Éoniens va perdurer pendant près de deux siècles à travers de petits groupes.
À la fin du XIIIe siècle, environ 150 ans après la mort de l’hérétique de Brocéliande, un autre personnage, du nom de Fra Dolcino, va réveiller la secte ou du moins en lancer une nouvelle qui partage de nombreux points de concordance avec les idées d’Éon de l’Étoile. Ils prendront le nom de Dolciniens et pratiqueront le pillage et la destruction, refuseront la hiérarchie ecclésiastique et prêcheront des idées millénaristes et eschatologiques de fin des temps, de la même façon que les Éoniens. Pour l’anecdote, les Dolciniens sont mentionnés dans le roman Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, ainsi que dans le film du même nom.
Pour revenir en Bretagne et plus précisément dans la bourgade de Concoret et ses alentours, les habitants du lieu auraient disposé de textes dont ils tiraient des sortilèges et enchantements permettant de réaliser toutes sortes de prodiges. La tradition les attribue à Éon de l’Étoile, ce qui pose une problématique, car l’homme était présenté comme non instruit des sciences de l’écriture. La légende locale raconte que les Concorétois auraient décidé de se débarrasser de ces écrits diaboliques et les auraient jetés dans un puits qu’ils ont condamné par la suite. Au cours des âges, d’autres textes auraient été retrouvés et furent aussi détruits. C’est du moins la réponse des habitants… mais ont-ils tous disparu ?
Dans tous les cas, les habitants de Concoret ont conservé la réputation d’être un peu sorciers… Voici une citation de l’abbé Mahé sur le sujet :
« Tandis que cet homme extraordinaire était campé dans la forêt de Brécilien, il conduisait nuitamment les sectateurs qu’il avait à Concoret, près de la fontaine de Baranton, pour y célébrer avec eux ses orgies, et comme il passait pour magicien et que d’ailleurs ces assemblées nocturnes ressemblaient au sabbat, les habitants de Concoret reçurent le nom de sorciers qu’ils ont porté jusqu’à ce jour et qu’ils porteront encore longtemps. »
Avec la légende des écrits mystiques ou magiques d’Éon de l’Étoile, on retrouve ici une thématique classique des légendes ésotériques. À l’instar du livre perdu du dieu Thot, des écrits secrets des Cathares, du tombeau perdu de Christian Rosenkreuz, des manuscrits de Rennes-le-Château, et bien d’autres encore… Éon de l’Étoile reste une énigme. Son groupe fut probablement l’une des nombreuses sectes de résurgence gnostique dans l’Europe des XIIe et XIIIe siècles. Tombée dans l’oubli, elle devint légende, l’une des légendes féeriques de Brocéliande…
Bibliographie
- Félix Bellamy, Éon de l’étoile : L’hérétique de Brocéliande
- J. Mahé, Essai sur les Antiquités du département du Morbihan
- Othon de Freisingen, De Gestis Frederici
- Guillaume de Newburg, De Rebus Anglicis
- Jean-Christophe Cassard, Ermite et hérésiarque breton du XIIe siècle
- Jean Markale, Histoire secrète de la Bretagne
- Christian Doumergue, Voyage dans la France magique
- Encyclopédie de Brocéliande : https://broceliande.brecilien.org/Eon-de-l-Etoile
- Lien : http://victor.rolland.free.fr/concoret