Yézidisme : la religion des kurdes

Nous partons au Kurdistan, à la découverte du Yézidisme, une religion monothéiste datant de l’Antiquité, largement persécutée au fil des siècles et encore aujourd’hui. Je vous propose de découvrir les origines et l’histoire du Yézidisme, ainsi que ses croyances. Nous verrons qu’elle partage de nombreuses connexions avec le zoroastrisme et qu’elle s’est perpétuellement adaptée au cours des siècles. Ainsi, elle a intégré des éléments issus des autres religions de la région, notamment de l’islam et du christianisme. Enfin, nous étudierons le culte et les rites de cette religion, puis nous les analyserons afin de comprendre pourquoi elle possède une dimension ésotérique.

Le Yézidisme est une religion relativement méconnue, souvent entourée de mystère et de malentendus. Il n’est pas rare que ses adeptes soient affublés du surnom peu sympathique de “adorateurs du démon”. Géographiquement, les adeptes du Yézidisme se trouvent principalement dans le Kurdistan irakien et, dans une moindre mesure, dans le Kurdistan turc, ainsi qu’en Syrie, en Turquie et en Arménie. Il existe également une diaspora importante, avec des adeptes en Allemagne, en Russie et en Amérique du Nord. Beaucoup ont fui le Moyen-Orient en raison des persécutions. Il est difficile d’avoir une estimation exacte du nombre de Yézidis, principalement à cause des tentatives d’éradication de cette religion, la dernière en date étant due à l’État islamique. On estime le nombre de Yézidis entre 800 000 et 1,5 million.

Ethniquement parlant, la quasi-totalité des adeptes sont des Kurdes. Cependant, tous les Kurdes ne sont pas adeptes du Yézidisme. On constate un regain d’intérêt pour cette religion au sein de la communauté kurde, avec de nombreux Kurdes musulmans se convertissant au Yézidisme depuis quelques décennies. La religion yézidie, vue comme une tradition des anciens Kurdes, devient un marqueur identitaire et culturel. Il existe même des Kurdes “chrétien-yézidis” ou “musulman-yézidis”.

Le terme “Yézidis” viendrait de l’ancien persan “yazidi” ou “yazatah”, qui pourrait se traduire par “les esprits saints” ou “esprits angéliques”. Le Yézidisme est donc “le culte des anges ou des esprits saints”. Cependant, ce n’est pas un culte polythéiste mais bien un monothéisme avec une déité suprême nommée “Xwede”. Une autre hypothèse attribue l’origine du nom au prophète “Yazid ibn Muawiya”, 2ème calife omeyyade qui a régné de 680 à 683. Cette hypothèse, défendue par Jean-Paul Roux, semble cependant bancale, et les Yézidis ne revendiquent pas Yazid comme figure religieuse.

Notons également que le Yézidisme n’est pas une branche de l’islam, bien qu’il en partage quelques éléments et en ait été influencé au cours des siècles. Les adeptes du Yézidisme se considèrent comme une communauté distincte avec des croyances et des pratiques uniques. Pour comprendre ces croyances, il nous faut revenir aux origines complexes du Yézidisme.

Les origines du Yézidisme

Notre histoire commence à la toute fin du 2ème millénaire avant J.-C., dans les monts Zagros au nord-ouest de l’Iran actuel. C’est ici que vivent les “Mèdes”, un peuple iranien originaire d’Asie centrale, apparenté aux “Perses” plus au sud, ainsi qu’aux “Arya” qui vivaient au nord-est de l’Iran actuel. Au fil des siècles, les Mèdes forment un vaste royaume, “la Médie”, qui sera absorbé par l’empire achéménide des Perses. Les Mèdes conservent néanmoins certaines spécificités culturelles. Aujourd’hui, on considère que les Mèdes sont les ancêtres des Kurdes, et que le Kurdistan est un héritier de la Médie antique, bien que ce soit débattu sur le plan historique.

C’est dans l’ancienne religion des Mèdes qu’il nous faut rechercher l’origine du Yézidisme. Les Mèdes, les Arya et les Perses, bien que proches voisins et partageant des racines communes, développent chacun leurs spécificités, notamment dans le domaine religieux. D’une forme religieuse commune au 2ème millénaire avant J.-C., de nature polythéiste, les Perses influencés par les Élamites et les Mésopotamiens donnent naissance au Mazdéisme, puis au zoroastrisme. Les Arya donnent naissance au védisme, qui évolue pour devenir le brahmanisme, puis l’hindouisme. Enfin, les Mèdes développent le Yazdanisme (le culte des anges).

Au 1er millénaire avant J.-C., ces trois traditions restent très proches, partageant des références communes, notamment la figure de Mithra. C’est également au sein de ces traditions que naissent les premières formes de monothéisme, plusieurs siècles avant les Hébreux. Sous la domination des Perses, la religion majoritaire de l’empire est le Mazdéisme avec la figure centrale d’“Ahura Mazda”. Les Mèdes sont assimilés à des Mazdéens bien qu’ils donnent le nom de Xwede à leur divinité principale. Pour les distinguer, on utilise le terme de Yazdanisme.

L’empire perse, vaste et multi-religieux, sert de carrefour aux idées religieuses. Lors de la période de domination grecque, les idées philosophiques, l’art et les concepts religieux se mélangent. Les Parthes, un peuple semi-nomade d’origine scythe, adoptent le Mazdéisme perse avec un accent marqué sur Mithra. Au 3ème siècle de notre ère, les Perses reprennent le pouvoir et fondent l’empire sassanide, faisant du zoroastrisme la religion d’État jusqu’à l’invasion islamique au 7ème siècle.

Histoire du Yézidisme

Avec l’invasion arabe, l’empire sassanide prend fin et l’islam s’impose comme seule religion. Les adeptes du zoroastrisme doivent se convertir ou devenir des Dhimmi. Les temples du feu sont détruits ou transformés en mosquées. Les adeptes du Yazdanisme subissent probablement le même sort. Cependant, malgré les persécutions, cette religion survit sous des noms différents, se divisant en plusieurs branches.

À ce stade de notre histoire, nous ne parlons plus des Mèdes, mais des Kurdes, dont la religion, le Yazdanisme, a évolué au contact de l’islam et, dans une moindre mesure, du christianisme. Au 9ème siècle, l’islam alévi se fonde dans le Khorassan, intégrant des éléments du bouddhisme, du chamanisme et de l’ancienne religion kurde. Au 12ème siècle, un maître soufi, Cheikh Adi, tente d’adapter sa vision de l’islam ésotérique aux populations kurdes adeptes du Yazdanisme, créant ainsi de nouveaux rituels et initiations ésotériques tout en conservant les spécificités du culte ancien, notamment les 7 anges, dont Mithra, sous le nom de “Malek Taus” ou “l’ange paon”.

Les Yézidis vivent dans la clandestinité, considérés comme des païens par les autorités islamiques. Les dirigeants musulmans les accusent de vénérer Malek Taus, qu’ils identifient au diable. Une troisième branche héritière du Yazdanisme, le Yârsânisme, est fondée au 14ème siècle par Sultan Sahâk, un autre maître soufi, à mi-chemin entre le Yézidisme et l’Alévisme.

Les croyances du Yézidisme

Le Yézidisme présente des croyances cosmogoniques complexes. Au cœur de cette cosmogonie se trouve l’idée de la création de l’univers par un être suprême, Xwede, qui en a confié la gestion à des entités divines intermédiaires : les anges ou Melek. Le Yézidisme n’a ni fondateur ni prophète et n’est pas prosélyte. On ne peut devenir Yézidi, on l’est par naissance.

Le panthéon yézidi est composé de sept anges, “les Sept Grands” ou “les Sept Divinités”. Le plus important est “l’Ange Paon” ou Malek Taus, une émanation créée par le Dieu suprême au début des temps pour manifester la transcendance divine et gérer l’univers. Les six autres grands anges, également émanations du Dieu suprême, assistent Malek Taus. Chaque ange représente une facette de la divinité et est associé à un jour de la semaine.

Les croyances yézidies incluent également la réincarnation et la purification de l’âme. Les âmes passent par différents cycles de vie pour atteindre l’illumination et se rapprocher de Dieu. Malek Taus est l’ange libérateur qui veille sur le monde, et les six autres anges représentent autant de vertus à acquérir pour atteindre l’état de pureté spirituelle et l’éveil mystique.

Bien que le Yézidisme soit une tradition orale, plusieurs textes sacrés sont apparus au fil des siècles : le “Kitab Al-Jilwa” ou “Livre de Révélation” écrit par le Cheikh Adi, et le “Mishefa Res” ou “Livre noir”. Le Kitab Al-Jilwa décrit Malek Taus et sa relation spéciale avec les Yézidis, tandis que le Mishefa Res raconte la création de l’univers et l’existence des Sept Grands Anges.

Les rites et l’organisation du Yézidisme

Les rituels yézidis jouent un rôle crucial dans la vie religieuse de la communauté, centrés sur la vénération des lieux saints, des sanctuaires dédiés aux anges, des mausolées des saints et des collines sacrées. Le Yézidisme est syncrétique, intégrant des éléments de différentes religions, notamment de l’islam et du christianisme.

Les Yézidis font cinq prières par jour, dirigées vers le soleil, symbole de la présence divine de Malek Taus. La prière quotidienne aide à maintenir un lien étroit avec les divinités et à recevoir leurs bénédictions. Le jeûne est également pratiqué, comme une forme de purification spirituelle. Les Yézidis pratiquent des rituels de baptême (Mor Kirin), symboles de purification et de renouveau spirituel, administrés à Lalish.

Le principal lieu saint du Yézidisme est la ville de Lalish en Irak, où Malek Taus est apparu pour la première fois. Les Yézidis y font des pèlerinages et y célèbrent plusieurs fêtes religieuses, dont le Nouvel An yézidi (Çarşema Sor) et la Fête de l’Assemblée (Cêjna Cemaiya). Les rites yézidis incluent également la vénération de symboles sacrés, de prières spéciales, de danses rituelles et d’autres pratiques méditatives.

Le Yézidisme a un système de castes, révisé par le Cheikh Adi, comprenant les Cheikhs, les Pirs et les Murides. Le Prince Ezidi (Mîr) est le chef temporel et spirituel de la communauté. Sous lui se trouve le Cheikh Baba, chef spirituel des Yézidis. Les prêtres, répartis en trois catégories (Faqirs, Qewels et Kocheks), jouent un rôle important dans la transmission des enseignements et des rituels yézidis.

En conclusion, malgré des siècles de persécutions, le Yézidisme a su préserver son identité religieuse et son patrimoine culturel, intégrant des influences diverses et développant une dimension ésotérique unique. Dans la partie suivante, nous explorerons plus en détail les croyances spécifiques du Yézidisme, son panthéon divin et les similitudes et différences qu’il présente avec d’autres religions.

Bibliographie :

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