C’est au cœur de la chaîne des Pyrénées, à la frontière de la France et de l’Espagne, que se cache l’une des cités fantomatiques des légendes. La cité de Pyrène tient son nom de la déesse du même nom qui donne également son nom à la chaîne de montagnes.
La Légende de Pyrène :
C’est la mythologie grecque qui nous offre quelques informations sur les légendes pyrénéennes. Héraclès se rend en Espagne afin de combattre Géryon, pour cela il franchit les montagnes pyrénéennes, et lors de son voyage il rencontre la belle Pyrène qui fut séduite par le héros. C’était la fille du roi Bébryx qui accueille Héraclès à sa table, parmi le peuple légendaire des Bébryces. Ils sont originaires d’Anatolie ou de Thrace d’après les légendes grecques.
Héraclès reste quelque temps avec la belle puis reprend la route du Sud afin de continuer ses travaux, au plus grand désespoir de Pyrène. La déesse, désespérée, se promène en forêt lorsqu’elle donne naissance à un serpent, fils du héros grec. Mais des monstres ou des géants tuent la belle déesse isolée.
Quelque temps plus tard, Héraclès, de retour d’Espagne, franchit une nouvelle fois les Pyrénées. Il apprend la triste nouvelle de la mort de Pyrène et massacre ses assassins ; suivant les versions, Héraclès massacre le clan des Bébryces pour ne pas avoir protégé la belle. Héraclès érige un tombeau pour Pyrène, qui se trouverait, d’après la légende, dans la grotte de Lombrives en Ariège, mais chaque région des Pyrénées possède sa propre tradition. L’une d’entre elles dit que le tombeau de Pyrène ne serait rien de moins que la chaîne des Pyrénées elle-même.
C’est en hommage à la princesse des Bébryces que la grande cité mythique sera nommée Pyrène, qui pourrait se traduire par la ville du feu. Il est possible que l’ethnologie du nom vienne de la langue grecque, mais d’autres auteurs ont émis l’hypothèse d’une origine phénicienne. Ce qui n’est pas inconcevable, car les navigateurs phéniciens contrôlaient de nombreux comptoirs sur la Méditerranée occidentale et auraient bien pu en établir un dans les Pyrénées. Les Phocéens puis les Grecs ne sont pas en reste, les villes de Massalia (Marseille) et d’Emporion (Ampurias) faisaient du commerce maritime dans la région. Notre étude précédente permet également d’imaginer une ville tyrrhénienne dans les Pyrénées.
Témoignages Anciens :
« Je me suis contenté de rapporter jusqu’à présent le discours d’Etéarque. Ce prince ajoutait cependant, comme m’en assurèrent les Cyrénéens, que les Nasamons étaient retournés dans leur patrie, et que les hommes chez qui ils avaient été étaient tous des enchanteurs. Quant au fleuve qui passait le long de cette ville, Etéarque conjecturait que c’était le Nil, et la raison le veut ainsi ; car le Nil vient de la Libye, et la coupe par le milieu et s’il est permis de tirer des choses connues des conjectures sur les inconnues, son cours doit avoir un développement égal à celui de l’Istres (le Danube pour les Grecs). Ce dernier fleuve commence en effet dans le pays des Celtes, auprès de la ville de Pyrène et traverse l’Europe par son milieu. Les Celtes sont au-delà des colonnes d’Héraclès et touchent aux Cynésiens qui sont les derniers peuples du côté du couchant. »
– Hérodote, livre II, Euterpe –
Hérodote n’a visiblement pas de connaissances précises de la géographie, il fait commencer le Danube, qu’il confond avec l’Ariège, dans les Pyrénées. La ville de Pyrène est citée pour la première fois, ce qui atteste de son existence du temps d’Hérodote ou du moins de l’existence de la légende, suffisamment importante pour arriver jusqu’en Grèce.
« Au-delà sont les rivages des Sordoniens, et les embouchures du Télis (le Têt) et du Tichis (le Tech), fleuves peu considérables dans leur état naturel, mais terrible dans leur crue ; la colonie Ruscino (Château-Roussillon), et le bourg Eliberri (Elne), faible reste d’une ville autrefois grande et florissante ; enfin, entre deux promontoires des Pyrénées, le port de Vénus célèbre par son temple, et le lieu appelé Cervaria (Cerbere), où se termine la Gaule. »
– Pomponius Mela, Description de la terre, livre II (ier siècle) –
Pomponius nous parle d’une cité florissante qui aurait disparu, ce qui n’était pas le cas du temps d’Hérodote, cinq siècles plus tôt. La ville serait située sur les côtes françaises de Méditerranée, dans les Pyrénées-Orientales. Les Sordoniens sont peut-être l’un des fameux peuples de la mer (Tyrrhéniens) comme les Shardanes et les Shekelesh. Il semble probable que Pomponius parle en fait des Sardones, un peuple habitant le Roussillon avant l’arrivée des Celtes (Volques Tectosages).
« Cependant le chef carthaginois, foulant aux pieds la paix du monde, s’avance vers les cimes boisées des Pyrénées. Du haut de ces montagnes couvertes de nuages, Pyrène voit de loin l’Ibère séparé du Celte, et occupe la barrière éternelle qui divise ces deux vastes contrées : c’est le nom de la vierge, fille de Bébryce, qu’ont pris ces montagnes : l’hospitalité donnée à Hercule fut l’occasion d’un crime. Alcide se rendait, pour l’accomplissement de ses travaux, dans les vastes campagnes du triple Gérion. Sous l’empire du dieu du vin, il laissa dans le redoutable palais de Bébryx, la malheureuse Pyrène déshonorée ; et ce dieu, s’il est permis de le croire, oui, ce dieu fut ainsi la cause de la mort de cette infortunée. En effet, à peine eut-elle donné le jour à un serpent, que, frémissant d’horreur à l’idée d’un père irrité, elle renonça soudain, dans son effroi, aux douceurs du toit paternel, et pleura, dans les antres solitaires, la nuit qu’elle avait accordée à Hercule, racontant aux sombres forêts les promesses qu’il lui avait faites. Elle déplorait aussi l’ingrat amour de son ravisseur, quand elle fut déchirée par les bêtes féroces. En vain elle lui tendit les bras, et implora son secours pour prix de l’hospitalité. Hercule, cependant, était revenu vainqueur ; il aperçoit ses membres épars, il les baigne de ses pleurs, et, tout hors de lui, ne voit qu’en pâlissant le visage de celle qu’il avait aimée. Les cimes des montagnes, frappées des clameurs du héros, en sont ébranlées. Dans l’excès de sa douleur, il appelle en gémissant sa chère Pyrène : et tous les rochers, tous les repaires des bêtes fauves retentissent du nom de Pyrène. Enfin il place ses membres dans un tombeau, et les arrose pour la dernière fois de ses larmes. Ce témoignage d’amour a traversé les âges, et le nom d’une amante regrettée vit à jamais dans ces montagnes. Déjà l’armée, traversant les collines et les épaisses forêts de pins, avait franchi la porte des Bébryces. De là, elle se répand en furie dans le pays inhospitalier des Volques, qu’elle ravage le fer à la main. Bientôt, hâtant sa marche, elle se répand sur les rives menaçantes du Rhône impétueux. »
– Silius Italicus, livre III (ier siècle) –
Silius Italicus nous livre avec une grande poésie la légende de Pyrène et Héraclès, mais parle également de la cité qui porte le nom de la déesse. La ville disparue porterait son regard à la fois sur l’Espagne, d’où vient Hannibal lors de la deuxième guerre punique, et sur les terres des Volques, la Gaule. Pyrène est à nouveau située dans les Pyrénées-Orientales et peut-être en hauteur, dans un massif de montagnes, laissant une vue dégagée sur les plaines du Sud et du Nord.
« Quant au territoire qui s’écarte de la grande mer, les Cérètes, et auparavant les durs Acrocérètes, l’a possédé tout entier : maintenant toute la nation se confond sous le nom d’Ibères. Le peuple des Sordes y vivait aussi dans des lieux inaccessibles. Répandus vers la mer Intérieure, ils habitaient au milieu des retraites des bêtes sauvages, du côté où les monts Pyrénées montrent leur sommet chargé de pins et dominent au loin les terres et la mer. Sur les confins du territoire des Sordes était autrefois, dit-on, l’opulente cité de Pyrène : là les habitants de Massilie venaient souvent faire leurs échanges de commerce. Des colonnes d’Hercule, de la mer Atlantique et des rivages de Zéphyris jusqu’à Pyrène, la navigation, pour un vaisseau rapide, est de sept jours. Après les monts Pyrénées s’étendent les sables du rivage Cynétique, largement sillonnés par le fleuve Roschinus. »
– Avienus, Les Régions maritimes (ive siècle) –
Avienus parle de la ville de Pyrène comme d’une antique cité disparue. La ville faisait du commerce avec Massilia, la ville phocéenne, et avec les gens de Gibraltar, que l’on peut supposer être les habitants de la ville de Tartessos.
Pline l’Ancien, au ier siècle, nous parle également des ruines d’une cité antique dans la région des Pyrénées-Orientales. La réalité historique de la ville ne nous semble pas faire de doute, cependant cela provoque plusieurs questions. Le site archéologique de Pyrène n’a jamais été retrouvé et plusieurs localisations sont proposées.
La plus excentrique nous propose les villes de Tarascon-sur-Ariège et d’Ussat-les-Bains, cela vient de la proximité avec le tombeau de la déesse Pyrène dans la grotte de Lombrives. Il n’existe aucun élément qui permet d’accréditer cette thèse qui repose uniquement sur la mythologie du lieu. Les auteurs antiques parlent d’une cité qui se trouve à proximité de la mer, or les villes de Tarascon et d’Ussat sont enclavées dans les montagnes, loin des côtes. Il nous semble logique d’éloigner cette hypothèse et les autres équivalentes et de se concentrer sur les descriptions des auteurs antiques.
Les sources nous proposent quelques repères géographiques : la cité de Pyrène se trouverait à proximité des villes actuelles de Port-Vendres (Portus Veneris, qui signifie Port-Vénus), de Cerbère (Cervaria) et d’Elne, dans les actuelles Pyrénées-Orientales. Les fleuves Têt et Tech sont également mentionnés et confirment le secteur géographique. Les géographes de l’époque n’avaient cependant pas notre précision et certaines erreurs sont tout à fait envisageables, encore plus dans le cas où la cité avait déjà disparu ou du moins où elle fut en ruine lors de l’écriture des textes antiques.
La ville est mentionnée comme un port de commerce, il semble donc logique qu’elle fût située sur les abords de la Méditerranée ou d’un fleuve qui débouche sur la mer. Il est possible que la cité soit plus éloignée des côtes, de la même façon qu’Athènes, et soit dotée d’un port comme Le Pirée qui lui offre l’accès au commerce maritime. La solution la plus logique est de rechercher un site antique dans les Pyrénées-Orientales au vu des descriptions géographiques et malgré leur manque de précision. En effet les auteurs latins connaissaient parfaitement les cités de leur temps (Elne, Port-Vendres et Ruscino) et les fleuves qui les entouraient (Têt, Tech et Agly).
Nous limiterons nos recherches sur ce secteur ainsi que sur la frontière espagnole. La première difficulté concerne la modification de la géographie méditerranéenne des Pyrénées-Orientales, les côtes actuelles sont plus avancées qu’autrefois, ceci étant dû à l’apport fluvial d’alluvions qui ont pu recouvrir un port antique. Les géologues estiment que mille ans avant Jésus-Christ, les côtes étaient plus reculées de plusieurs dizaines de mètres. Il est possible que la ville ait progressivement disparu sous les eaux, de la même façon que la mythique Atlantide de Platon. Les fouilles archéologiques n’ont pas examiné l’ensemble du littoral et de nombreux sites restent à exhumer.
Faisons la liste des propositions classiques pour l’emplacement de Pyrène :
- Cervaria (Cerbère) ainsi que Balneum (Banyuls-sur-Mer) qui ne présentent pas de vestiges suffisamment importants pour être des cités prospères, notons quand même la présence de nombreux mégalithes qui suggèrent que le site était occupé par les peuples du Néolithique depuis longtemps.
- Empúries, située en Espagne, à 50 kilomètres au sud des Pyrénées-Orientales, est proposée comme site possible. C’est une ville fondée par les Phocéens vers -580. La cité fait du commerce avec les Carthaginois et plus tard avec les Romains. Notons quand même que le site est éloigné des points de repères géographiques et se trouve au sud du territoire des Sardones. Les fouilles archéologiques nombreuses n’ont pas permis de la rattacher à la légende de Pyrène, malgré la présence de vestiges d’une cité florissante. L’antique Empúries reste une éventualité tout à fait convenable.
- La ville d’Illiberis (Elne) est proposée comme choix pour Pyrène dû à l’appellation romaine « la Pyrène des Grecs », cependant cela ne nous semble pas une preuve définitive. Les Romains ont très bien pu appeler la ville en référence à l’antique Pyrène disparue, de plus la ville est citée par les auteurs antiques comme repère géographique afin de situer la Pyrène d’origine.
- Portus Veneris (Port-Vendres) est aussi proposée comme site potentiel. La ville fut fondée par les Phéniciens au cours du vie siècle av. J.-C. et sera le premier port de commerce connu de la région. Le nom d’origine de la ville ne nous est pas connu, les Romains la baptiseront « Port-Vénus » en référence à la Vénus pyrénéenne (Pyrène). Cela tendrait à accréditer la théorie. Cependant il faut rester prudent, il est possible que les Romains aient édifié un temple de Vénus par eux-mêmes, octroyant son nom à la ville. La tradition nous raconte que le temple de Vénus se situait à quelques kilomètres de la ville, dans les montagnes. La localisation de Pyrène à Port-Vendres nous semble une éventualité acceptable.
- Ruscino (Château-Roussillon) est utilisée comme repère géographique pour situer Pyrène, il est donc peu probable que Ruscino soit Pyrène. La ville fut probablement la capitale du peuple des Sardones (du vie au iie siècle av. J.-C.), elle devient romaine à partir du iie siècle av. J.-C. Il est possible que Pyrène fût le port de Ruscino, ce qui pourrait correspondre aux villes actuelles de Sainte-Marie ou de Canet-en-Roussillon.
- Cap de Creus en Espagne est un site potentiel, il offre toujours un site capable d’avoir abrité un port antique, mais l’absence de fouilles archéologiques ne nous permet pas d’en avoir la preuve.
- Le col de Panissars à la frontière entre l’Espagne et la France pourrait correspondre à certaines descriptions. Le regard sur les deux faces de la montagne, sur la voie romaine (via Domitia), autrefois la voie héracléenne. Le site n’est pas sur la mer, mais les Romains auraient très bien pu utiliser l’antique route qui passait par la cité de Pyrène. L’hypothèse reste hasardeuse, mais mérite des recherches archéologiques.
- Collioure est la candidate la plus sérieuse, la région présente plusieurs dolmens du Néolithique et la ville antique est plus vieille que Portus Veneris. Le port de Collioure est progressivement délaissé par les Romains qui lui préfèrent l’embouchure de Portus Veneris, les navires d’eau profonde ne pouvant accoster à Collioure. Il est possible que la ville romaine de Cauco Illiberis (signifiant le « port d’Elne ») soit la descendante de Pyrène, aucune fouille archéologique sérieuse n’a été faite dans le secteur.
Nous avons présenté les principales candidates à la localisation de Pyrène, cependant nous livrons à votre attention une dernière théorie bien hasardeuse. Le territoire des Sardones/Sordes s’étend de Cerbère au sud à Salses-le-Château au nord et sur les montagnes pyrénéennes à l’ouest. Les Sardones sont un peuple pré-indo-européen dont les villes principales sont Château-Roussillon, Elne et la légendaire Pyrène. Progressivement ils vont subir l’influence des peuples indo-européens, les Ligures, au xe siècle av. J.-C., puis des Ibères au ve siècle av. J.-C. Les derniers envahisseurs seront les Celtes et plus précisément les Volques Tectosages, au iiie siècle av. J.-C. Les Sardones s’assimilent progressivement aux Celtes devenant de vrais Gaulois lors de la conquête de César. Les villes de Château-Roussillon et d’Elne sont proches des côtes, mais il est envisageable que cela ne soit pas le cas de Pyrène, le commerce pouvant s’établir via les villes maritimes du pays de Pyrène. Silius Italicus nous parle d’une cité qui se trouve sur les montagnes, observant les terres des Ibères et des Celtes. Le nom même de Pyrène nous renvoie aux vieilles légendes de la montagne de feu, lorsque le soleil se couche sur le Canigou.
Hérodote, au ve siècle av. J.-C., nous parle de la ville de Pyrène à la frontière du pays des Celtes, mais lorsque les auteurs suivants le feront, ils en parleront comme d’une ville en ruines ou détruite. Il est probable que la ville fut détruite lors de l’arrivée des Volques Tectosages sur la région. Il faudrait également chercher les ruines de la cité dans les montagnes pyrénéennes ou plus précisément dans les premières zones de friction entre les Celtes et les Ibères/Sardones, dans le Conflent, le Vallespir, le pays de Sault, le Capcir, le Fenouillèdes ou le Razès. Cela reste une hypothèse, mais correspond à certains éléments des textes antiques.
La tradition nous rapporte que ce serait les Sardones (pays de Sorde) qui auraient fondé la civilisation nuragique, le peuple des Sardones seraient les ancêtres des Shardanes de l’île de Sardaigne. Il est beaucoup plus probable de considérer que les Sardones sont des Tyrrhéniens, à l’instar des Shardanes. Ils feraient donc partie de notre empire de la mer qui servira d’inspiration à l’Atlantide de Platon. Pyrène ne serait peut-être qu’une des dix cités mythiques de la fable mythologique du philosophe grec. Il nous reste encore à trouver des ruines d’un temple circulaire de type nuragique ou torréen pour le prouver.
Bibliographie :
- Les civilisations oubliées, Ludovic Richer
- Olivier de Marliave, Trésor de la mythologie pyrénéenne
- Jean Guilaine, La civilisation du vase campaniforme dans les Pyrénées françaises
- Jean Guilaine, L’Âge du bronze en Languedoc occidental, Roussillon, Ariège
- Laurent Olivier, Le pays des Celtes
- Margail J. À la recherche « d’Illiberis
- Aude de Tocqueville, Atlas des cités perdues