Le Picatrix : un grimoire interdit

Nécromancie, magie astrale, alchimie… Et si le mystérieux Necronomicon de Lovecraft trouvait ses racines dans un véritable grimoire oublié du Moyen Âge : le redoutable Picatrix ?

L’art magique venu d’Andalousie

Parmi tous les traités de magie qui furent écrits, le Picatrix occupe une place particulière. Ce grimoire est né dans le monde arabo-musulman de la période médiévale sous le titre de Ghayat al-Hakim — « Le But du Sage ».  Il se présente comme un condensé des savoirs antiques, mêlant astrologie, alchimie, philosophie néoplatonicienne, et surtout, des techniques magiques opératives. Traduit en latin au XIIe siècle, il devient l’une des sources majeures de la magie astrale en Occident, influençant des penseurs comme Pic de la Mirandole, Marsile Ficin ou encore le mage Cornelius Agrippa. Mais le Picatrix n’est pas un simple manuel technique : c’est aussi un système de pensée.  Un pont entre l’ésotérisme grec de l’antiquité, l’astrologie et la magie arabe, la philosophie hermétique, et la mystique soufie. Il propose au magicien un chemin vers l’union avec les forces célestes… mais non sans danger. Car joué avec les forces de l’invisible n’est pas anodin… 

Origines et transmission

alchimiste arabe

Le texte original fut rédigé en arabe entre le 9e et le 11e siècle, est fut attribué à un auteur connu sous le nom de Maslama al-Majriti, philosophe et astrologue andalou vivant à Cordoue. Toutefois, comme bien souvent dans les grimoires, cette attribution est incertaine. Certains chercheurs y voient une compilation anonyme, d’autres une œuvre collective issue des milieux néoplatoniciens musulmans. Note que la version arabe ne fut découverte qu’en 1920.  Le Ghayat al-Hakim fut traduit en latin vers 1256 à la cour de Castille, alors sous le règne d’Alphonse X le Sage, qui semble avoir eux un penchant pour les sciences occultes. Il prend alors le nom de Picatrix, terme dont l’étymologie reste obscure, mais qui pourrait dériver d’un mot grec signifiant « image » ou « talisman ». La version latine circule dans les milieux érudits, sans jamais être imprimée officiellement au Moyen Âge, tant son contenu est jugé dangereux.  Mais elle est copiée et diffusée sous le manteau, et devient l’un des piliers de la magie médiévale et de la Renaissance, au point que ce texte constitue l’une des inspirations des célèbres Clavicules de Salaomon. 

Un traité encyclopédique de magie astrologique

Le Picatrix est un traité relativement dense, souvent divisé en quatre livres suivant les copies, couvrant les grands domaines de la magie astrale, de l’hermétisme, et de l’alchimie :

• Le Livre I : Traite des Principes philosophiques de la magie : 

Il expose la vision néoplatonicienne du cosmos, fondée sur une hiérarchie des êtres et des influences célestes. Définis la magie comme l’art de capter les forces universelles par les correspondances et les images. Affirme que l’homme est un microcosme, miroir du monde supérieur.

• Le Livre II : sur Science astrologique et pratique talismanique : 

Il présente les savoirs astrologiques indispensables pour fabriquer des images magiques efficaces. Décrit les influences des planètes, des signes et des étoiles fixes sur le monde sublunaire. Donne les règles pour créer des talismans, choisir les moments propices et associer pierres, formes et figures célestes.

• Le Livre III : concerne les Correspondances naturelles et les évocations spirituelles : 

Il explore les correspondances entre les astres, les règnes naturels (plantes, animaux, minéraux) et les esprits planétaires. Détaille les rituels pour invoquer ces esprits à l’aide de figures, prières, encens et offrandes. Insiste sur la prudence, la connaissance ésotérique et la maîtrise des dangers.

• Enfin le Livre IV : traite de la Métaphysique et des fondements spirituels de la magie : 

Il expose la nature des esprits, de l’âme et de l’intellect dans une perspective philosophique et spirituelle. Décris les disciplines que doit maîtriser le « sage » pour pratiquer l’art magique : astrologie, médecine, logique, sciences naturelles. Rassemble les savoirs ésotériques antiques issus des traditions chaldéenne, grecque et arabe.

Tout repose sur une idée centrale : 

Les astres émettent une influence sur le monde sublunaire, et le mage instruit peut capter cette influence ou ce fluide magique à travers des rites, des paroles, des matériaux choisis et des moments précis.

Un système de pensée hermétique

 le Picatrix

Mais si le Picatrix est bel et bien un grimoire de magie opération, il propose aussi une approche philosophique et spirituelle au carrefour de plusieurs traditions :  Il reprend le néoplatonisme d’inspiration grecque : l’univers est une échelle entre Dieu et la matière, et la magie est le moyen de remonter cette échelle. Il s’appuie sur l’astrologie arabe, avec une précision technique impressionnante. Il intègre des pratiques héritées de l’Égypte antique, de l’Inde et de la Perse, et de l’alchimie hellénistique.

Mais ce qui frappe le plus, c’est son absence de morale religieuse : 

La magie est une science, qui peut être utilisée à des fins bonnes ou mauvaises. Certains rituels évoquent des sacrifices sanglants, des invocations de Dinns, des manipulations d’images destinées à influer sur le monde physique. C’est pourquoi il fut considéré comme dangereux, même par des penseurs ésotériques.  Marsile Ficin le lit… mais le critique. Agrippa le cite… mais en avertissant ses lecteurs. 

La plupart des traditions chrétiennes le rejetteront comme un livre impie et diabolique. La philosophie du Picatrix repose sur une vision néoplatonicienne et théurgique de l’univers, où les influences divines descendent du monde céleste vers le monde matériel. Le mage agit en captant ces forces au moment opportun, grâce à l’astrologie, aux talismans et aux correspondances naturelles. La magie y est un art sacré, exigeant savoir, vertu et union de l’intellect humain avec les intelligences supérieures.

Influence et postérité dans l’occultisme occidental

Malgré les condamnations et mise en garde, le Picatrix influence toute la magie de la Renaissance. Il inspire les talismans planétaires présents chez Agrippa et dans la Clavicule de Salomon. Il fonde une grande partie de l’astrologie magique des grimoires du XVe au XVIIe siècle. Il devient une référence majeure dans les cénacles occultes, hermétiques et kabbalistiques.

Même à l’époque moderne, il reste un texte de référence dans l’occultisme : Les courants lucifériens ou hermétistes y voient un manuel de théurgie. Certains adeptes de la magie astrale contemporaine le relisent comme un guide technique à adapter aux énergies planétaires. Des traductions modernes, en anglais et en français, permettent de redécouvrir sa complexité… et son étrangeté.

Picatrix et le Nécronomicon de Lovecraft

Necronomicon et Picatrix

Il est important de noter que le Picatrix a inspiré une œuvre fictive majeure du XXe siècle : le Nécronomicon de H. P. Lovecraft. Ce grimoire imaginaire, attribué à l’Arabe dément Abdul Alhazred, est devenu célèbre dans la mythologie de l’auteur américain. Or, Lovecraft le décrit comme un livre arabe ancien, rempli de rituels terrifiants, de savoirs interdits et d’invocations de puissances cosmiques — autant d’éléments que l’on retrouve dans le Picatrix. Lovecraft aurait posséder un exemplaire du Picatrix ! Les ressemblances avec le Nécronomicon sont troublantes : un manuscrit arabe ancien, une magie astrale liée aux étoiles et aux esprits invisibles, un savoir dangereux qui rend fou…

Le Picatrix peut être vu comme le modèle réel d’un Nécronomicon avant la lettre — un livre véritablement redouté à travers les siècles. Cette analogie renforce encore le caractère ambivalent du Picatrix : à la frontière entre science sacrée, sorcellerie maléfique, et imaginaire cauchemardesque.

Conclusion : Une carte du ciel pour l’âme du mage

Le Picatrix est bien plus qu’un simple grimoire. C’est un condensé des traditions magiques de son temps, un miroir de la pensée occulte à son plus haut niveau de spéculation médiévale. Il ne propose pas des sortilèges immédiats, mais des opérations magiques complexes et une vision du monde où le cosmos tout entier est un langage sacré, qu’il faut apprendre à lire, à parler, et à incarner. Mais c’est un savoir exigeant. Il ne pardonne ni la naïveté ni la paresse. Comme les astres qu’il évoque, il brille de mille feux… mais peut aussi éblouir, ou brûler celui qui s’y frotte…

Bibliographie : 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Arcana

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture