Le Sabbat des Sorcières

La légende des sabbats de sorcières est une partie fascinante et sombre du folklore européen. Ces réunions nocturnes, accompagnées de danse, musique et banquets, rassemblaient sorcières, sorciers et autres adeptes pour accomplir des rites païens. Cependant, au fil du temps, ces rassemblements ont été diabolisés et sont devenus symboles d’opposition à la religion chrétienne.

Origine du Mot Sabbat :

Le terme “sabbat” a une origine complexe et controversée. Certains historiens pensent qu’il dérive du Shabbat hébraïque, le jour de repos hebdomadaire consacré à Dieu en souvenir de la création, célébré principalement dans le judaïsme. D’autres références médiévales associent le sabbat à la “synagogue de Satan”, reflétant une perception négative des traditions juives par le monde chrétien du Moyen Âge. Une autre théorie propose que le mot “sabbat” provienne du dieu païen Sabazios, une divinité thrace ou phrygienne associée aux cultes initiatiques de l’antiquité.

Histoire des Sabbats de Sorcières

sabbat des sorcières

Si la sorcellerie existe sous des formes variées depuis la nuit des temps, le mythe du sabbat des sorcières ne prend naissance qu’à la fin du Moyen Âge, tout en s’inspirant de traditions plus anciennes, telles que celles des femmes s’envolant dans les airs, la vénération des idoles ou encore les rites sacrificiels.

Le Moyen Âge, entre les XIIe et XIVe siècles, est marqué par les grandes hérésies des cathares, des vaudois et par le procès des Templiers. L’Église donne alors naissance à l’Inquisition afin de s’opposer à ces nouvelles doctrines contestataires de son autorité.

Pourtant, à cette époque, il n’est pas encore question de sabbat de sorcières. Les réunions païennes existent déjà, mais elles sont qualifiées d’hérésie et condamnées par une bulle papale en 1326. On y trouve déjà des références au futur sabbat, notamment à travers ces rassemblements nocturnes où des sorcières cannibales sont accusées de pratiquer des rituels magiques.

Ce n’est qu’au début du XVe siècle que l’imaginaire du sabbat commence à se répandre. Le phénomène prend naissance dans les Alpes et coïncide avec la première chasse aux sorcières dans le canton du Valais entre 1420 et 1430. Les auteurs de l’époque s’en donnent alors à cœur joie pour décrire toutes les obscénités attribuées à ces réunions de sorciers et de sorcières diaboliques. On y retrouve la légende du vol des sorcières sur des balais ou des animaux, notamment des chats noirs. Il est aussi question d’onguents composés à base de graisse d’enfants, dont les sorcières s’enduisent le corps lors de leurs ébats sexuels avec le démon. Les adeptes de ces réunions vénèrent une idole diabolique prenant l’apparence d’un bouc, à laquelle ils donnent des baisers obscènes. Ils renient la foi chrétienne et vandalisent ses insignes, avant que l’ensemble ne se termine en une orgie frénétique entre les participants et les démons, succubes et incubes. La cérémonie s’achève avec un grand banquet où des enfants sont supposément dévorés. Voilà en quelques mots comment ces réunions de sorcières sont décrites à l’époque. Toutefois, elles ne sont pas encore appelées sabbat, mais Vauderie, en référence à l’hérésie des vaudois.

sabbat des sorcières

C’est en 1459 que le franciscain Alfonso de Espina, en Espagne, utilise pour la première fois le mot sabbat dans le cadre de l’Inquisition espagnole. Ce qui tend à accréditer l’idée d’un emprunt sémantique au Shabbat des populations juives d’Espagne, qui n’avaient pas encore été expulsées du territoire. À la fin du XVIe siècle paraît le plus terrible des livres inquisitoriaux : le Malleus Maleficarum, ou Marteau des sorcières. Ses auteurs présentent le sabbat comme des réunions organisées, principalement par des femmes séduites par le diable, dans le cadre d’un vaste complot satanique contre la religion chrétienne.

La société est alors terrorisée par les sabbats de sorcières, et les procès de sorcellerie se multiplient en nombre considérable à travers toute l’Europe. On dénombre plusieurs milliers de procédures au cours du XVIe siècle. Les choses se calment quelque peu au siècle suivant, et les sabbats de sorcières deviennent plus rares, au point de disparaître progressivement dans la superstition populaire. Ils restent néanmoins un élément de fantasme et de terreur jusqu’au début du XXe siècle.

Depuis le XXe siècle, ces antiques réunions de sorcières sont revenues à la mode avec la naissance de la Wicca, mouvement prônant le retour aux traditions païennes diabolisées sous le nom de sabbat des sorcières. Plusieurs figures, comme Margaret Murray, Gerald Gardner et même Aleister Crowley, sont à l’origine de cette renaissance de la sorcellerie des campagnes. Ou, plus précisément, de sa recréation, car il est impossible d’affirmer qu’il existe un réel lien entre les pratiques du Moyen Âge et celles de la Wicca au XXe siècle. Dans tous les cas, le sabbat des sorcières a retrouvé une place dans les courants du New Age.

Fonctionnement et Symbolisme des Sabbats

Le sabbat des sorcières était supposé avoir lieu dans des endroits spécifiques, rattachés aux traditions païennes : d’anciens sites mégalithiques, des fontaines sacrées ou encore des carrefours. Ces derniers étaient d’ailleurs associés à la déesse-sorcière Hécate dans la tradition grecque. On perçoit clairement l’inspiration païenne de ces cérémonies, qui auraient pu servir de modèle au mythe du sabbat développé à la fin du Moyen Âge.

Bien avant qu’il ne prenne son aspect diabolique, le sabbat — ou du moins les réunions de sorcières — était un moment d’échange où l’on partageait des connaissances magiques, des recettes de potions, des filtres et autres sortilèges. Ces rassemblements étaient majoritairement féminins et dédiés au culte de la déesse Diane. Cela laisse penser que cette tradition remonterait à l’Antiquité et se serait perpétuée dans les campagnes du Moyen Âge, moins évangélisées que les villes. Les pays d’Europe de l’Est et du Nord n’ont d’ailleurs pas été christianisés avant l’an mille. Il en va de même pour certaines zones montagneuses, beaucoup plus difficiles d’accès, où les anciennes pratiques ont perduré plusieurs siècles.

Les secrets ésotériques se transmettaient de mère en fille et constituaient une forme de contre-pouvoir face à l’Église patriarcale. Toutefois, quelques hommes fréquentaient également ces réunions, notamment des sages-femmes, des guérisseuses ou encore des tisseuses. Contrairement à la légende du sabbat diabolique, ces rassemblements n’avaient pas de dates précises. Ils étaient généralement organisés lors des grandes fêtes du calendrier chrétien, ce dernier ayant lui-même supplanté d’anciennes célébrations païennes.

Parmi les dates majeures de rassemblement des sorcières, on trouve :

  • Beltaine ou la nuit de Walpurgis, dans la nuit du 30 avril au 1er mai.
  • Samhain, connue aujourd’hui sous le nom d’Halloween, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre.
  • Les anciennes fêtes nocturnes de Dionysos ou d’Hécate, ancrées dans les cultes antiques.
sabbat des sorcières

La danse et les banquets constituaient le cœur des réunions de sorcières. Ces rassemblements faisaient parfois office de bals populaires clandestins, en opposition aux mœurs austères imposées par l’Église. Il s’agissait d’événements festifs à caractère plus licencieux, où la notion de péché n’existait pas, à l’image des traditions antiques. On observe d’ailleurs une libération des pratiques sexuelles dans ces réunions, avec une recherche assumée du plaisir, en totale opposition avec une société prude. Là encore, le sabbat s’inscrit dans la continuité des traditions orgiaques des sociétés antiques.

L’usage de drogues hallucinogènes était probablement courant dans un cadre rituel. L’ergot de seigle, un champignon parasite, serait à l’origine du célèbre mythe du vol des sorcières, en raison des effets de dissociation et d’illusion qu’il provoquait. Il est possible que certaines sorcières aient eu l’impression de voler sous l’influence de cette substance. Des sacrifices d’animaux ont sans doute eu lieu. En revanche, les sacrifices humains et le cannibalisme, bien que peu probables au vu des sources historiques, ne sont pas totalement à exclure. Rappelons que les rituels anthropophages existent depuis la Préhistoire et ont pu perdurer dans certaines régions reculées. Notamment dans les pays nordiques, où la pratique du sacrifice humain était encore en vigueur avant la christianisation.

L’Église ne s’occupait guère de ces réunions de sorcières durant le Moyen Âge, bien qu’elle les condamnât comme des hérésies. C’est la naissance de l’Inquisition qui va progressivement modifier cette perception : à partir du XVe siècle, l’aspect païen des sabbats se transforme en un culte démoniaque. Les idoles païennes, comme le dieu cornu, deviennent alors le bouc infernal entouré de ses légions démoniaques, une vision qui s’imposera à la Renaissance et qui marquera durablement l’imaginaire collectif jusqu’à aujourd’hui.

Conclusion

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En définitive, le mythe du sabbat des sorcières est un mélange complexe de traditions païennes, de peurs médiévales et de constructions inquisitoriales. D’abord perçu comme un simple héritage de cultes anciens, il devient progressivement un symbole du mal absolu sous l’influence de l’Église et des tribunaux de l’Inquisition. Si le sabbat a nourri les terreurs collectives durant des siècles, il a aussi survécu sous d’autres formes, réinterprété par les courants ésotériques modernes. Aujourd’hui encore, il demeure un puissant archétype, oscillant entre fantasme, légende noire et fascination pour les mystères du passé.

Bibliographie :

  • Claude Lecouteux, Fées, sorcières et loups-garous au Moyen Âge
  • Étienne Anheim, Jean-Patrice Boudet, Franck Mercier et Martine Ostorero, « Aux sources du sabbat : lectures croisées de L’Imaginaire du sabbat
  • Jean-Michel Sallmann, Les Sorcières fiancées de Satan
  • Norman Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age
  • Dictionnaire historique de la magie et des sciences occultes
  • Le livre des superstitions, Eloise Mozzani
  • Henry Institoris et Jacques Sprenger, Le Marteau des sorcières : Malleus Maleficarum

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