Il nous est tous déjà arrivé de nous réveiller en sueur, pris de terreur ou dans une situation d’affolement. Vous avez fait un cauchemar, un phénomène plutôt courant, jamais agréable, qui trouve ses origines dans plusieurs facteurs psychosomatiques. Anxiété, peur, tristesse, désespoir, traumatisme, un mauvais film d’horreur et bien d’autres seraient la cause de nos terreurs nocturnes. Mais l’origine du mot “cauchemar” puise ses racines bien avant la naissance de la science psychanalytique : il vient du folklore et des anciennes traditions. Dans les croyances populaires, l’origine des terreurs nocturnes était attribuée à une créature que l’on appelait le « Cauchemar ».
L’étymologie du mot
L’étymologie du mot viendrait : De l’ancien picard caucher, au XIIe siècle, qui signifiait « presser » ou « appuyer sur », voire « fouler ». De mare, en néerlandais, qui voulait dire « fantôme ». On trouve des variantes du terme selon les régions :
Ainsi, on rencontre le Cochemar au XVIIIe siècle en France, qui devient le cauchemar au siècle suivant. Chauceur dans le Jura, Chauce-Paille en Franche-Comté. Dans la région de Lyon, il était appelé cauquevieille, en Isère chauchi-vieilli, en Languedoc chaouche-vielio,
et pour finir, le célèbre croquemitaine, dont on raconte encore la légende pour effrayer les enfants. Le cauchemar était donc un fantôme (mare ou mara) ou un revenant qui presse ou qui appuie sur quelque chose. Et ce quelque chose, c’était nous, bien sûr.
Une origine multiple et fluctuante

L’origine du cauchemar est difficile à définir et surtout variable. Parfois, il s’agit d’une âme en peine, tourmentée, qui ne trouve pas le repos et qui vient hanter les dormeurs pour chercher de l’attention. D’autres fois, il s’agit d’un revenant, autrement dit d’une personne décédée qui sort de son tombeau. Généralement, c’est un ancien sorcier qui vient se nourrir de l’énergie vitale de ses victimes endormies. Sous cette forme, le cauchemar appartient à la famille des vampires, qui ne se nourrissent pas de sang, mais de l’âme de leur victime. Enfin, le cauchemar pouvait appartenir à la famille des mauvais génies, des entités du monde invisible, à l’instar des incubes, succubes et autres lémures des traditions gréco-romaines.
Plus tard, dans les traditions de la démonologie chrétienne, les cauchemars furent considérés comme les serviteurs du démon Belzébuth, venus tourmenter les âmes pour les faire mourir, les pousser à la folie ou au suicide à cause des terreurs nocturnes. En Italie, on considérait que le cauchemar prenait l’apparence d’un chat pour se déplacer discrètement de maison en maison.
Un mode opératoire précis
Quelle que soit sa nature, le mode opératoire reste le même : le cauchemar se glisse à l’intérieur de la maison, sous la forme d’une brume vaporeuse ou métamorphosé en petit animal. Il peut alors franchir les serrures des portes ou entrer par les fenêtres. Une fois dans la chambre, il s’installe sur sa victime de tout son poids afin de la maintenir piégée et de la dévorer, au sens énergétique du terme. Lorsque l’on se réveillait avec le souffle coupé, une forte douleur sur la poitrine ou en sueur, c’était le signe qu’un cauchemar était venu nous visiter.

En somme, cela décrit précisément la sensation que nous connaissons tous après un mauvais rêve. Mais le cauchemar est une créature tenace et persistante. Lorsqu’il choisit une victime, il peut la persécuter pendant une très longue période, ce qui entraîne un déclin physique, puisque la créature se nourrit de son énergie.
Le cauchemar pouvait également violenter le dormeur en lui arrachant des cheveux, laissant parfois des contusions corporelles. Une calvitie soudaine était souvent la preuve d’un envoûtement par un cauchemar. Parfois, ces mauvais génies pouvaient même conduire à la mort par suffocation, d’où l’importance de se prémunir de leurs malveillances, ou dans le pire des cas, de les chasser avant que la situation ne devienne catastrophique.
Un mythe ancré dans l’Europe ancienne
Chez les anciens Scandinaves et Germains, cette croyance était très répandue et abondante dans la littérature populaire. Le cauchemar, plus simplement appelé Mara (ou esprit malfaisant), ne s’attaquait pas uniquement aux humains, mais également aux arbres. On disait que lorsqu’un bel arbre perdait soudainement ses branches, c’était dû à la présence d’un Mara. Les textes mythologiques de Snorri Sturluson font régulièrement allusion à ces créatures. Elles sont associées à la notion du double ou de l’alter ego, le hugr. Dans les croyances scandinaves, chaque homme et femme possède un double qu’il peut projeter pendant le sommeil. Certains sorciers utilisaient leur hugr de façon malveillante pour tourmenter leurs semblables. Ils projetaient ainsi leur double qui allait tourmenter un ennemi ou une proie sous la forme du cauchemar.
On trouve des mythes équivalents dans les Pyrénées avec la Sarramauca (qui signifie « serrer la poitrine » ou « faire poids sur le ventre », comme le cauchemar). Il s’agissait d’un esprit féminin ou d’une sorcière qui envoyait son double afin de voler l’énergie vitale de ses victimes. La Sarramauca s’attaquait principalement aux nourrissons, qu’elle faisait mourir dans leur sommeil. On s’efforçait alors de débusquer la sorcière responsable de ces méfaits. Plusieurs procès pour sorcellerie ont eu lieu sous cette accusation.
Comment se protéger des cauchemars ?
Comme toute tradition du folklore, il était nécessaire de se protéger des cauchemars, des Mara et des Sarramauca. Pour cela, on disposait des amulettes aux portes et aux fenêtres afin de les empêcher d’entrer dans la maison. On accrochait également des gousses d’ail (comme pour les autres revenants de type vampire), qui avaient la réputation de chasser les mauvais esprits.
Dans le cas où la créature parvenait tout de même à entrer dans la chambre et que la victime sentait ses forces décliner après plusieurs nuits tourmentées, on plaçait un peigne aux longues dents acérées verticalement sur la poitrine. Ainsi, lorsque le cauchemar prendrait place sur le dormeur, il se piquerait violemment et ne reviendrait plus.

Si l’on se réveillait en sursaut et en sueur pendant la nuit avec le souffle coupé, il était recommandé d’avoir un couteau dans la pièce et de frapper dans l’air pour chasser l’entité malveillante qui rôdait peut-être encore. Plus simplement, il était conseillé de dormir avec les bras croisés sur la poitrine et de réciter trois fois cette formule : « Je me coucherai et je dormirai en paix, car toi seul, Éternel, me feras habiter en assurance. Ainsi soit-il. »
Parmi les nombreuses méthodes employées, l’usage du fer est sans doute l’un des plus anciens et des plus universels. Le fer a toujours été perçu comme un matériau puissant contre les forces invisibles. En Europe, il était courant de fixer un fer à cheval au-dessus des portes ou des lits pour éloigner les esprits errants. Les Romains, quant à eux, plantaient des clous de fer dans les murs de leur maison pour empêcher les entités de s’y infiltrer. Lorsqu’une personne était régulièrement visitée par des cauchemars, on lui conseillait parfois de :
- Placer une pointe de fer sous son oreiller.
- Disposer des aiguilles autour du lit pour créer une barrière invisible.
- Enfoncer un clou de forgeron dans le bois du lit afin de fixer l’âme du dormeur et empêcher l’entité de le tourmenter.
D’autres rituels plus complexes impliquaient l’utilisation d’une dague ou d’une épée consacrée. Certaines traditions scandinaves conseillaient de tracer un cercle de protection sur le sol à l’aide d’une lame de fer, empêchant ainsi toute intrusion nocturne.
Si les protections passives ne suffisaient pas, il fallait alors agir plus directement. Nombre de cultures ont développé des rituels d’exorcisme visant à expulser définitivement le cauchemar ou l’entité qui le provoquait. L’un des plus répandus consistait à identifier la source du mal. Si l’on soupçonnait un défunt de hanter les nuits d’un vivant, il fallait retrouver sa tombe et y planter une barre de fer pour l’empêcher de se relever. Cette coutume se retrouve aussi bien dans les traditions slaves que dans les pratiques germaniques. En Bretagne, on pratiquait des fumigations de genévrier et de soufre dans la chambre du dormeur afin de purifier l’espace. Un exorciste ou un prêtre récitait alors des incantations pour forcer l’esprit à quitter les lieux : “Que la brume se lève et que l’ombre s’efface, Par le fer et le feu, que nul spectre ne passe.
Les cauchemars et la paralysie du sommeil
Si le cauchemar a longtemps été perçu comme une entité malveillante venue tourmenter les dormeurs, la science moderne propose une autre lecture du phénomène. Ce que nos ancêtres interprétaient comme l’attaque d’un esprit pourrait, selon certaines théories, s’expliquer par un trouble neurologique connu sous le nom de paralysie du sommeil.

Ce phénomène surviendrait au moment de l’endormissement ou du réveil, lorsque le corps demeure figé entre le sommeil paradoxal et l’éveil. La victime se retrouve alors incapable de bouger, comme si un poids écrasant pesait sur sa poitrine, tandis que son esprit oscille entre le rêve et la réalité. Dans cet état de vulnérabilité, nombreux sont ceux qui rapportent une sensation de présence menaçante, une ombre indistincte au bord du lit, une silhouette sombre qui les observe. Des bruits de pas lointains, des chuchotements inaudibles, voire une pression physique réelle sont souvent décrits.
Mais si cette interprétation neurologique peut sembler rassurante, elle ne suffit pas à expliquer la persistance de ces récits à travers les âges et les cultures. Pourquoi tant de témoignages séparés par des siècles, parfois des continents, décrivent-ils une expérience identique ? Pourquoi la sensation d’être drainé de son énergie au réveil est-elle si fréquente ?
La science explique la paralysie du sommeil, mais ne répond pas à toutes les questions. Ceux qui en sont victimes évoquent parfois bien plus qu’une simple illusion cérébrale. Peut-être que derrière les mécanismes du cerveau se cache autre chose, quelque chose que nos ancêtres avaient appris à redouter…
Une frontière floue entre science et mystère
Si aujourd’hui la paralysie du sommeil offre une explication rationnelle à bien des récits de cauchemars, elle n’épuise pas toutes les interrogations. Pourquoi certains cas semblent-ils persister malgré les protections et les rituels ? Pourquoi certaines victimes ressentent-elles des marques physiques au réveil ?
Il est possible que le cerveau joue des tours à ceux qui sombrent dans ces états de transition entre rêve et éveil. Mais il est tout aussi envisageable que ces phénomènes ne soient pas qu’un simple jeu d’illusions. Peut-être nos ancêtres avaient-ils raison en affirmant que certaines forces trouvent leur chemin jusque dans nos songes… et qu’il vaut mieux savoir s’en protéger.
Bibliographie
- Eloise Mozzani, Le livre des superstitions
- Wilhelm Heinrich Roscher, Le Cauchemar, mythologie, folklore, arts et littérature : Éphialtès, étude mytho-pathologique des cauchemars et démons du cauchemar dans l’Antiquité
- Sophie Bridier, Le cauchemar : étude d’une figure mythique
- Claude Lecouteux, Histoire des Vampires, autopsie d’un mythe
