L’art pariétal ou l’énigme des chamans

Nous allons étudier l’art pariétal afin d’ouvrir une porte de compréhension sur les croyances et les pratiques religieuses et magiques des peuples qui les ont occupés plusieurs milliers d’années avant notre ère. Cet article fait également office de complément à mon dernier livre (Arcana Mundi), qui porte sur les rites initiatiques.

Ainsi, je vous propose de découvrir cette phase complexe de la préhistoire, qui se révèle d’une grande richesse, aussi bien au niveau artistique que dans le domaine de la symbolique, voire même de l’ésotérisme des chamans.

La période dite de l’art pariétal n’est pas un sujet d’étude des plus aisés. Contrairement aux périodes antique ou médiévale, nous ne disposons pas de textes, et le matériel archéologique reste limité. Heureusement, les méthodes de datation au carbone 14, ainsi que les recherches anthropologiques associées à l’histoire de l’art, nous ouvrent quelques portes de compréhension sur cette période fascinante. Ceux qui étudient cette matière sont appelés les pariétalistes, et vous trouverez une bibliographie en description de cette vidéo afin de poursuivre vos recherches personnelles.

Pour commencer, il nous faut définir ce qu’est l’art pariétal :

Il s’agit d’un courant artistique qui se compose d’un ensemble d’œuvres d’art situées dans des grottes ou, parfois, dans de simples abris sous roche pour les formes les plus modestes. L’art pariétal se distingue de « l’art rupestre », qui est réalisé sur des rochers en extérieur, et de « l’art mobilier », qui englobe toutes les productions artistiques d’objets, bijoux, parures, etc.

À titre d’exemple :

Les fresques du Tassili n’Ajjer en Algérie n’appartiennent pas à la famille de l’art pariétal, mais à celle de l’art rupestre. De la même façon, les outils en silex ou les statuettes votives retrouvés dans les tertres funéraires appartiennent à l’art mobilier. Bien sûr, il est normal de retrouver des mélanges entre ces différentes familles artistiques selon les sites, mais aujourd’hui, nous allons nous concentrer uniquement sur l’art pariétal.

Alors posons quelques questions afin de cerner notre sujet : 

Au niveau quantitatif : ce ne sont pas moins de 150 000 sites présentant des œuvres d’art pariétal, répartis sur toute la planète. Cependant, on dénombre un peu moins de 400 grottes ornées d’importance, dont environ 200 se trouvent dans le sud-ouest de la France et 17 en Espagne, la plus célèbre étant celle de Lascaux, dans le Périgord. Notons tout de même que de nouveaux sites d’art pariétal sont découverts chaque année, et de ce fait, la connaissance de cette période est encore en plein développement.

Au niveau des auteurs : plus des deux tiers de la production fut l’œuvre de peuples chasseurs-cueilleurs, soit des populations qui n’étaient pas sédentarisées et n’avaient pas encore développé de sociétés complexes ni d’architecture.

Pour ce qui est des dates : il existe de profondes différences selon les zones géographiques. Pour simplifier, on peut considérer que l’art pariétal représente toujours une étape dans le cadre du développement d’une société. Si les plus anciennes manifestations de l’art pariétal remontent à environ 40 000 à 50 000 ans avant notre ère, il n’y a pas de date de fin stricte pour ce courant artistique, bien qu’il soit principalement cantonné à la préhistoire. Il existe quelques cas d’art pariétal dans les sociétés antiques et médiévales, mais cela reste marginal par rapport aux autres formes artistiques. De plus, ces œuvres sont plutôt situées dans des monuments édifiés par l’homme que dans des grottes. En Europe, la majorité de ces œuvres se situe entre l’Aurignacien et le Magdalénien, soit grosso modo entre -40 000 et -10 000.

Au niveau de la frise chronologique : 

Le pariétalisme se place donc au Paléolithique supérieur et précède quasi systématiquement la phase dite du Mésolithique. En Europe et au Proche-Orient, la fin de l’âge pariétal correspond sensiblement à la fin du Dryas récent, une période marquée par des bouleversements climatiques et une forte montée des eaux qui s’étale sur un peu plus de 2 000 ans.

Dans le domaine purement artistique : 

L’art pariétal précède également les premières constructions de la protohistoire, comme l’art mégalithique ou les premiers villages d’Anatolie. À titre d’exemple, c’est à cette période que nous voyons émerger la sédentarisation et les premières constructions comme Göbekli Tepe ou Karahan Tepe. Dans tous les cas, l’art pariétal fait partie de la famille des « arts préhistoriques » et, plus spécifiquement, des arts figuratifs, dont il constitue l’apogée ou le point culminant pour la préhistoire. On pourrait même parler d’un langage des symboles pour le définir, car, d’une certaine façon, il précède les formes de proto-écriture.

Pour commencer notre étude, il nous faut d’abord effectuer un focus sur cette période de la préhistoire afin de contextualiser ces œuvres, comprendre qui en sont les auteurs et explorer leurs motivations à travers plusieurs exemples.

Chronologie de l’art pariétal :

La préhistoire s’étend sur une longue période temporelle, commençant avec l’apparition de l’Homme et se terminant avec l’apparition de l’écriture, marquant ainsi l’entrée dans l’Histoire. Bien sûr, cette date de fin n’est pas identique selon les zones géographiques.

Par exemple, si la Mésopotamie et l’Égypte entrent dans l’Histoire au 4ᵉ millénaire avant J.-C., l’Europe et la Chine n’y entrent que deux millénaires plus tard, tandis que l’Océanie n’y accède qu’au 18ᵉ siècle de notre ère. Cela illustre de grandes disparités, et vous comprenez aisément que ce découpage chronologique est limité, car il repose sur un unique critère. Une autre façon de découper le temps consiste à prendre en compte la sédentarisation.

Avec cette seconde lecture, on introduit une phase intermédiaire, « moins limitative », entre l’Histoire et la Préhistoire : on parle alors de Protohistoire. Malgré cela, de la même façon, l’âge d’or de l’art pariétal ne se produit pas au même moment selon les zones géographiques. Ce style artistique correspond toujours à la fin de la Préhistoire ou à la phase qui précède la Protohistoire d’une région donnée.

Dans cet article :

Je vais me concentrer sur les plus anciennes formes d’art pariétal et me limiter au secteur européen, même si j’utiliserai parfois des exemples extérieurs pour illustrer des concepts généraux qui, bien sûr, ne se limitent pas à ma cible géographique et temporelle initiale.

Ainsi, notre aventure commence vers 60 000 ans av. J.-C., en Espagne :

C’est ici que vont apparaître les premières manifestations de l’art pariétal avec des peintures figuratives. Précisons qu’elles ne sont pas l’œuvre de Sapiens, mais de l’homme de Néandertal, dans le cas spécifique des grottes d’Ardales, Pasiega et Maltravieso.

C’est ensuite nos ancêtres, Homo sapiens, qui vont prendre le relais, avec l’exemple notable de la grotte d’El Castillo, vers 40 000 ans av. J.-C., toujours en Espagne. Ce style se développe rapidement en France, en Allemagne, puis sur le reste du globe de manière progressive, sans qu’il puisse être établi de lien ou de contact entre les différentes cultures. L’art pariétal émerge naturellement au cœur des sociétés humaines.

Dans le cas de la grotte d’El Castillo : 

On recense pas moins de 3 000 œuvres peintes sur les parois, notamment des figures animales, des mains humaines, des figures anthropomorphes et d’autres signes non identifiés précisément ou incomplets, probablement en raison de la détérioration liée au temps. L’ensemble de la grotte s’étend sur presque 1 km. Notons que si l’art pariétal s’y développe à partir de 40 000 ans av. J.-C., le site est occupé depuis bien plus longtemps, à minima depuis 120 000 ans av. notre ère. De plus, le site a livré un grand nombre de matériels archéologiques, facilitant la compréhension du mode de vie de ses occupants. Ainsi, il ne fait pas de doute qu’au-delà de l’aspect artistique, El Castillo a servi de cadre à des rites de type chamanique.

En France :

La grotte Chauvet (ou grotte ornée du Pont-d’Arc, en Ardèche) :

C’est l’un des exemples les plus notables de l’art pariétal, longtemps considérée comme la plus ancienne. On y dénombre plus de 400 représentations d’animaux, notamment des mammouths, rhinocéros, félins, aurochs, ours, chevaux, bisons, etc., ainsi que des représentations zooanthropiques, illustrant des scènes de chasse. L’art pariétal y est daté d’un peu plus de 30 000 ans avant notre ère. Chauvet a également livré un large ensemble d’ossements et d’outils, permettant une mise en contexte du site. Notons que Chauvet fut occupée par d’autres prédateurs, notamment l’ours des cavernes. La préservation exceptionnelle du site est due au fait qu’il fut obstrué vers 22 000 ans avant notre ère, ce qui l’a protégé d’occupations postérieures à la phase pariétale. L’une des représentations majeures du site est la fresque du « Sorcier et de la Vénus », qui illustre l’idée d’un couple lors d’une cérémonie chamanique de type hiérogamique.

La grotte du Pech Merle, dans le Lot :

C’est un autre exemple de la magnificence de l’art pariétal. On y dénombre plusieurs milliers de motifs, figures animales, humaines ou autres pétroglyphes, répartis dans des galeries formant un ensemble de presque deux kilomètres. L’occupation du site semble s’étaler entre 25 000 et 12 000 ans avant notre ère.

La grotte de Niaux, en Ariège :

Plus récente, son occupation commence vers 17 000 ans avant notre ère. Elle se distingue par son gigantisme, formant un vaste réseau souterrain connecté à plusieurs autres grottes sur près de 14 km. Le plus curieux est que cette grotte ne présente quasiment aucun vestige d’occupation pour la période pariétale. Son usage semble donc se limiter à un rôle artistique et probablement religieux. À noter que, paradoxalement, les autres grottes de la région ont servi d’habitat.

Bien sûr, au-delà de ces quelques exemples, chaque région du globe développe ses propres spécificités, notamment au niveau des représentations de la faune et de la flore, ces dernières n’étant pas identiques selon les espaces géographiques.

À titre d’exemple :

Nous trouvons une large production d’œuvres pariétales en Australie, dans la culture aborigène. Ces productions datent pour la majorité de 10 000 à 6 000 av. notre ère et continueront à être produites jusqu’à des époques récentes, tout en partageant des thématiques communes avec les œuvres européennes produites quelques dizaines de milliers d’années plus tôt.

Cela nous montre qu’en l’absence de contact entre les civilisations, nous sommes face à des concepts et des méthodes qui apparaissent de façon naturelle chez tous les peuples. En Australie, on trouve des fresques représentant des émeus, kangourous et wallabies. En plus des représentations animales, de nombreuses scènes humaines décrivent des rituels ou des chasses utilisant des boomerangs.

Un autre exemple intéressant nous vient de l’Indonésie :

On y trouve des manifestations d’art pariétal aussi anciennes qu’en Europe, notamment les premières représentations figuratives dans la grotte de Leang Bulu Sipong, datées de 43 000 ans av. J.-C. Ces œuvres incluent des représentations animales et des scènes de chasse, avec une spécificité intrigante : les chasseurs sont des êtres zooanthropiques.

À noter que ce phénomène n’est pas unique. La statuette de l’homme-lion de Hohlenstein-Stadel, en Allemagne, datée de 40 000 ans av. J.-C., illustre également des êtres mi-humains, mi-animaux. Des cas similaires se retrouvent en France, avec l’homme-oiseau de la grotte de Lascaux ou le sorcier-bison de Chauvet.

Si l’art pariétal débute à des époques variables selon les zones géographiques, il ne possède quasiment jamais de fin, même si l’on peut considérer qu’il devient progressivement « une pratique minoritaire » avec le développement de l’architecture des peuples sédentaires.

Ainsi, l’art pariétal des grottes européennes laisse progressivement sa place à l’art mégalithique lors de la sédentarisation. Naturellement, il en va de même pour les autres régions. À partir de cette période, on privilégiera la décoration des temples, sanctuaires et autres lieux de culte au détriment des grottes naturelles.

Cela ouvre une première réflexion intéressante :

Si les grottes ont servi de lieux de refuge saisonnier pour les peuples nomades, afin de s’abriter des péripéties de la nature et des prédateurs, les hommes sédentaires les abandonnent au profit de constructions permanentes.

Dans un village de la protohistoire, il existe des maisons, des bâtiments communs, mais aussi des lieux de culte, des monuments distincts pour des usages différents. Or, dans l’époque précédente, la grotte pouvait recouvrir tous ces aspects à la fois. Elle faisait office de maison provisoire, de lieu commun pour les rassemblements et diverses formes d’expressions, mais aussi de sanctuaire religieux pour le clan nomade.

Dans nos sociétés modernes, le religieux et le politique peuvent être dissociés, mais il n’en était rien dans les époques précédentes, encore moins à la préhistoire. Ces sociétés voyaient les rites de naissance, de passage à l’âge adulte, de mariage et même de mort comme autant d’événements à la fois sociaux et religieux.

Ainsi, c’est en toute logique que les grottes pariétales servaient de cadre à une partie des rites chamaniques. S’il est difficile d’avoir des certitudes sur les pratiques rituelles et religieuses de cette période, l’art pariétal devient une clé essentielle à leur compréhension. C’est justement ce que nous allons étudier dans la seconde partie de cet article.

Magie & Symbolisme :

La première erreur est de penser que les peuples de la préhistoire n’avaient pas de religion. On présente souvent les hommes de la préhistoire comme des sauvages incultes vêtus de peaux de bêtes. Pourtant, le fait qu’ils soient des chasseurs-cueilleurs ne signifie pas pour autant qu’ils n’avaient pas de préoccupations, bien au contraire. Certes, leurs systèmes de croyances peuvent sembler plus simples de prime abord. Néanmoins, le sacré est au cœur des préoccupations humaines depuis que l’Homme est doté d’une conscience.

Bien sûr, aucun texte ne vient à notre secours pour comprendre la religion de nos ancêtres. Heureusement, l’étude des peuples contemporains ayant conservé un fonctionnement totémique ou chamanique nous permet de mener une analyse anthropologique de ce qui pouvait exister à l’époque de la préhistoire. Ces analyses permettent également de faire des recoupements avec les éléments artistiques des grottes pariétales, nous offrant un aperçu du fonctionnement religieux de cette époque.

En premier lieu :

Il est fondamental de comprendre que l’art pariétal est une forme de langage artistique, mais surtout symbolique pour ces peuples. Au-delà de la volonté esthétique, ces motifs traduisent leurs préoccupations. Nous sommes dans le cadre de religions animistes, où l’on considère l’existence d’esprits animant toutes choses.

• Lorsque l’on chante, les esprits nous écoutent.

• Lorsque l’on danse, les esprits nous regardent.

• Lorsque l’on peint dans les grottes, c’est comme envoyer un message aux esprits.

Ainsi, bien qu’il y ait une volonté artistique, cet art s’adresse avant tout aux esprits dans une perspective sacrée, voire magique. L’art pariétal devient un langage, un moyen de communication avec les forces invisibles.

On peut voir ces fresques comme des invocations, des prières ou des rites mis en images, à l’instar des religions ultérieures utilisant diverses iconographies. Par exemple, un mandala bouddhiste ou un chemin de croix chrétien représente quelque chose de sacré pour les croyants, et il en allait de même pour nos ancêtres de la préhistoire.

Les scènes de chasse :

L’une des principales activités des hommes de la préhistoire, la chasse, était particulièrement dangereuse. Chasser un mammouth avec des lances n’a rien de comparable à tirer un lapin avec un fusil.

À travers ces fresques, plusieurs logiques « magico-religieuses » se dégagent : 

1. Attirer les faveurs d’une bonne chasse grâce à la loi de l’analogie. Représenter la victoire sur le gibier de manière figurative pouvait provoquer ou du moins favoriser cet événement dans la réalité, en établissant une « chaîne d’attraction magique », comme le décrira plus tard l’occultiste Éliphas Lévi.

2. Agir sur le réel par la projection magique de leurs volontés et besoins essentiels, notamment en l’absence d’agriculture, rendant la chasse et la cueillette vitales pour la survie.

D’autres motivations plus complexes :

Certaines représentations figuratives ne montrent pas des proies mais des prédateurs, comme les félins ou les ours. Ces derniers représentaient à la fois une menace et des concurrents directs dans la chaîne alimentaire.

Leur représentation pouvait avoir plusieurs fonctions :

• Protection : une méthode magique de répulsion pour éloigner le danger d’une confrontation.

• Totémisme : s’attirer la puissance de l’animal sous forme d’une énergie totémique.

Des animaux comme l’ours, le tigre à dents de sabre ou le loup possédaient des qualités indéniables pour la chasse et la survie : vitesse, puissance, odorat, etc. Les hommes cherchaient à s’imprégner de ces qualités par des rites d’attraction magique, illustrés ici par des œuvres artistiques.

C’est pour ces raisons que de nombreuses sociétés humaines donnaient des noms d’animaux à leurs enfants, espérant ainsi favoriser leurs talents grâce à des liens totémiques.

Le culte animiste et l’art pariétal :

Dans un cadre animiste, les animaux sont dotés d’une âme. S’attacher à de puissants totems à travers des œuvres figuratives permettait de créer un lien spirituel avec le « grand esprit » des loups, des ours, des rapaces ou d’autres animaux admirés.

En d’autres termes, les hommes cherchaient à s’approprier la puissance des esprits totémiques par des pratiques artistiques et rituelles. Ces œuvres pariétales deviennent ainsi des clés essentielles pour comprendre les pratiques magico-religieuses de la préhistoire.

Pour appuyer cette théorie :

Il est important de noter que les recherches anthropologiques ont prouvé que les totems des sociétés premières étaient presque toujours des animaux. Le clan se considérait comme descendant du totem et observait divers tabous liés à l’animal sacré : interdiction de le tuer, interdiction d’épouser une personne née sous le même totem, obligation de donner à un enfant un nom faisant référence à cet ancêtre mythologique, etc.

De la même façon, il est logique de supposer que les peintures des grottes pariétales répondaient en partie à ces exigences du totémisme. Nous pouvons également illustrer la survivance de ces croyances avec les « Berzerkers » des sagas scandinaves. Les Berzerkers, ou guerriers fauves, étaient supposés posséder une puissance magique liée à une force totémique, celle d’un loup ou d’un ours. Dans les anciens mythes, cela leur conférait une force et des qualités exceptionnelles.

Toujours dans la culture scandinave, le « Hamr », ou double astral de l’homme, pouvait prendre la forme d’un animal et voyager durant le sommeil. Cette croyance reflète la même logique que les représentations zooanthropiques des grottes pariétales.

Selon cette vision, l’humain aurait une « double nature », et son âme pourrait prendre l’aspect de son animal totem. Les représentations artistiques avaient alors pour fonction de mettre en évidence cette relation, voire de provoquer l’émergence de ce pouvoir et de le contrôler à travers un rituel artistique.

Il est intéressant de noter que dans la mouvance actuelle du New Age, on retrouve souvent des références aux animaux totems. Bien que ces concepts soient principalement issus du légendaire amérindien réactualisé, ils partagent des proximités avec les cultes anciens du totémisme.

Un autre élément d’intérêt récurrent :

Dans l’art pariétal, les nombreuses représentations de « mains humaines » sont frappantes. Peut-être s’agissait-il simplement, pour les anciens, de marquer leur présence dans un lieu. Après tout, il est courant de laisser une empreinte pour garder le souvenir d’un passage. Cette coutume persiste encore aujourd’hui : les parents et leurs enfants réalisent souvent des empreintes de mains pour immortaliser un moment. Marquer une conquête d’un nouveau territoire en y laissant une trace est également une pratique universelle. Le drapeau sur la Lune et les traces de bottes laissées par la mission Apollo 11 en sont de bons exemples modernes. Il est toutefois probable que cet acte artistique recèle d’autres significations, bien que ces dernières restent difficiles à cerner avec certitude.

La khamsa est répandue en Afrique du Nord

Quelques rapprochements peuvent être faits avec des représentations symboliques plus récentes de mains humaines :

• La main de Fatma ou « Khamsa » au Maghreb, symbole protecteur porté en amulette pour éloigner le mauvais œil et se préserver des esprits maléfiques.

• Plus anciennement, le signe de Tanit des Carthaginois, qui portait des fonctions similaires.

La main, dans de nombreuses cultures, a toujours véhiculé un symbole d’action, de pouvoir et de protection.

Voici une présentation de cette symbolique dans la culture berbère d’Afrique du Nord :

chandelle magique

Cependant, la main pouvait aussi représenter un pouvoir maléfique, notamment dans le domaine des sciences occultes. Par exemple, la main de gloire est un symbole magique censé exaucer des vœux ou réaliser des prodiges.

Voici comment l’occultiste Stanislas de Guaita décrit la main de gloire :

Ces deux exemples me semblent compatibles avec la symbolique des mains retrouvées dans les grottes pariétales. Cependant, il est difficile de trancher entre deux hypothèses principales :

1. L’usage des mains comme symbole de protection ou talisman protecteur.

2. Leur rôle en tant qu’éléments opératifs dans un rituel spécifique.

Il est raisonnable de supposer que la signification de ces empreintes variait selon les artistes et leurs objectifs, nécessairement divers. L’analyse du symbolisme offre une clé de compréhension satisfaisante, bien qu’hypothétique. La main a toujours été un symbole d’action et de travail. Les hommes qui ont laissé ces empreintes voulaient probablement manifester leur pouvoir actif en ces lieux.

D’une certaine manière, ils semblaient déclarer :

L’art pariétal reflète une volonté précise, probablement multiple, dans l’esprit de ses auteurs.

Mais à qui s’adressent-ils ?

Ces symboles sont-ils destinés aux dieux, ou même aux mânes des ancêtres ?

S’il ne fait aucun doute que ces signes recèlent un caractère sacré, il est légitime de penser qu’ils s’inscrivent dans un système de théophanie, créant ou servant de vecteur pour la communication avec les forces de l’invisible. Nous pourrions dire qu’il s’agit d’une forme de communication magique.

D’ailleurs, rappelons que les grottes ornées d’art pariétal n’étaient pas des habitats permanents à la préhistoire, mais des lieux de vie cycliques ou semi-permanents. Les divers groupes humains pouvaient se rassembler dans ces lieux à des moments spécifiques de l’année pour y conduire des rituels communs. Ces rituels faisaient alors office de hiérophanie, car la grotte devenait un sanctuaire sacré et unique pour le clan.

Bien que ces dates ne soient pas précisément connues, on peut supposer qu’elles étaient liées aux cycles des saisons et aux phénomènes de solstices et d’équinoxes. Dans cette perspective, les grottes peuvent être considérées comme les ancêtres directs des sanctuaires de l’Antiquité. Si l’on osait un anachronisme, on pourrait dire que les grottes pariétales étaient pour les peuples de la préhistoire ce que sont les cathédrales pour les chrétiens ou les mosquées pour les musulmans :

• On y invoquait la force des animaux sacrés ou totémiques, afin de favoriser la chasse grâce à la chaîne magique de l’analogie chère aux occultistes.

• On y chassait les mauvais esprits en apposant la main de l’homme sur la roche comme un sceau de protection.

• On y communiquait avec les esprits invisibles ou les âmes des ancêtres.

• On utilisait probablement ces fresques pour enseigner aux plus jeunes les mythes cosmogoniques et les savoirs essentiels.

Il est possible que ces lieux aient eu de nombreux usages, mais il reste difficile d’en être certain. Nous pouvons toutefois établir des liens d’analogie avec des pratiques observées dans des sociétés traditionnelles étudiées par les anthropologues.

Une difficulté qui intrigue :

Ce qui frappe dans l’art pariétal, et qui permet d’écarter l’hypothèse d’une production purement artistique, c’est la difficulté technique et géographique liée à certaines peintures. Attention, il ne s’agit pas ici de la difficulté artistique, bien qu’elle ait existé, mais bien de l’effort nécessaire pour accéder à certaines zones de peinture.

Si de nombreuses œuvres sont situées dans des espaces facilement accessibles, comme dans les salles principales des grottes d’El Castillo ou de Chauvet, certaines peintures sont soigneusement dissimulées. Ces dernières nécessitent d’arpenter des couloirs sur plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, souvent dans l’obscurité totale. Pour y accéder, il fallait ramper, se contorsionner et s’éclairer avec des torches pour travailler dans des conditions minimales de visibilité.

Or, la qualité des peintures retrouvées dans ces espaces exigus suggère une volonté de précision. Ces œuvres ne semblent pas être le fruit d’un simple caprice ou d’un travail bâclé. Il est peu probable que des hommes de la préhistoire aient fourni autant d’efforts pour réaliser des peintures sans une signification particulière ou une valeur sacrée.

Une production ésotérique :

Dans les profondeurs de la terre, nous trouvons des œuvres d’art pariétal qui n’étaient pas destinées à être vues par le plus grand nombre. Ces productions semblent avoir échappé aux fonctions magiques et symboliques habituelles. Si leur objectif avait été de s’attirer les forces nécessaires pour une bonne chasse ou de repousser les mauvais esprits, il aurait été plus logique de les réaliser dans les espaces de vie communs, où tous les membres du clan pouvaient bénéficier de leur pouvoir. Ainsi, ces peintures cachées dans des renfoncements sombres suggèrent une fonction différente, moins universelle et probablement destinée à un petit groupe d’individus.

Un phénomène global :

Ce type de production n’est pas limité à une région spécifique. On le retrouve dans de nombreuses grottes célèbres, comme celles de Lascaux, Niaux, ou encore Bédeilhac en Ariège, ce qui témoigne d’un phénomène global plutôt que d’une particularité locale. Ces œuvres cachées ouvrent une nouvelle perspective, nous conduisant dans les méandres de questions ésotériques, où l’art pariétal devient un outil de réflexion sur les croyances et les pratiques les plus mystérieuses des peuples préhistoriques.

L’initiation des chamans :

Pourquoi ces hommes ont-ils éprouvé le besoin de faire ces illustrations loin de tout passage, hors de portée de celui qui ignore l’existence de la peinture ?

Aucune réponse n’est certaine et nous sommes obligés d’ouvrir la porte des hypothèses pour tenter une réponse. La solution qui me semble la plus évidente est l’illustration d’un prototype du rite de « Catabase » ou le récit du voyage aux enfers. Dans les sociétés chamaniques, il existe de nombreux rites qui marquent la vie des individus, et l’un des plus importants est le rite de passage à l’âge adulte.

Symboliquement :

L’adolescent va devoir mourir et renaître, ou en langage mythique : voyager aux enfers et revenir dans le monde des vivants doté d’une nouvelle connaissance. N’oublions pas que les grottes furent considérées comme des ouvertures sur l’inframonde. Bien sûr, ce ne sont pas les grandes enceintes aux multiples représentations qui illustraient ce concept, mais les conduits chaotiques qui s’enfonçaient dans l’obscurité la plus profonde. Arpenter ces tunnels équivalait à une aventure dans un monde inconnu, obscur, terrifiant et mystérieux, à la rencontre des entités de l’au-delà.

Si l’on pousse l’analyse :

Il est peu probable que cela ait concerné tous les individus. Si tous les membres du clan devaient passer par l’étape du rite de passage à l’âge adulte, les divers éléments connus de ces rites ne font pas spécifiquement référence aux grottes.

Bien qu’hypothétique :

Je serais tenté de dire que cela concernait plus spécifiquement les aspirants chamans. Le cœur des initiations chamaniques repose sur la mise en relation avec le monde des esprits, une sorte de pacte avec le monde invisible.

Or, dans tous les cas :

Les rites d’initiation aux mystères des chamans de la culture pariétale devaient bien avoir lieu quelque part et à des dates symboliques de l’année luni-solaire. Alors pourquoi pas dans les sanctuaires sacrés de ces peuples ?

Suivant cette hypothèse :

Le cœur du processus rituel aurait consisté à faire un voyage ou un périple dans le monde souterrain (un voyage aux enfers et une mort et résurrection symbolique), afin d’aller imposer sa marque dans la roche comme un message aux esprits invisibles. La peinture aurait fait office de consécration magique pour le chaman, le fameux pacte avec les esprits.

L’autre hypothèse, tout aussi envisageable, serait que les novices devaient simplement arpenter le chemin tortueux dans le but d’aller contempler par eux-mêmes la peinture, celle qu’un autre chaman avait préalablement placée dans les profondeurs du monde chthonien. Le novice qui n’y parvenait pas, en raison de difficultés techniques, par peur, claustrophobie ou autres, n’était de fait pas en mesure d’interpréter et de commenter la peinture initiatique. Il ne pouvait pas accéder aux mystères et, de fait, ne deviendrait jamais chaman.

Inversement, celui qui parvenait à faire le voyage aller-retour pouvait légitimement accéder aux mystères ; il revenait avec une nouvelle connaissance acquise en ayant accompli symboliquement le voyage dans le monde des esprits. Le novice avait accompli son périple initiatique, il possédait maintenant la connexion avec les mondes invisibles, nécessaire pour suivre l’enseignement de ses prédécesseurs.

Bien qu’il soit impossible d’apporter la preuve empirique que les rites d’initiation chamaniques se soient déroulés de cette façon, cette hypothèse a au moins le mérite de la cohérence. Je développe plus abondamment le sujet dans mon dernier livre, publié aux éditions de l’Opportun. Celui-ci est consacré à l’étude des traditions initiatiques et des rites associés.

Conclusion :

Pour finir sur le sujet de l’art pariétal, ce qui me semble le plus intéressant, c’est que tous les concepts de l’art religieux que nous connaissons étaient déjà présents sous des formes embryonnaires lors de cette période. Bien sûr, les religions sont devenues plus complexes, le ou les dieux ont remplacé les grands esprits de la nature, mais le cœur du sujet reste le même.

C’est le choix d’un lieu qui va servir à la théophanie, la mise en relation entre le monde des hommes et celui de l’invisible. Après tout, nous avons toujours utilisé l’art comme méthode de communication. Dans tous les cas, le sujet est passionnant et surtout loin d’être épuisé. Il ouvre la porte à de nombreuses réflexions quant aux archétypes et aux proto-mythes qui sont à la base de tous les systèmes de croyance.

Bibliographie : 

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