Aujourd’hui, nous partons en Amérique du Nord, dans la ville de Salem, pour découvrir l’une des plus célèbres affaires de sorcellerie. Ce drame, survenu au XVIIe siècle dans la colonie anglaise du Massachusetts, a conduit à l’arrestation d’une centaine de personnes. Un bon nombre des accusés seront torturés, et 22 personnes seront condamnées à mort.
Dans cette article, je vous propose de retracer la suite d’événements ayant conduit à ce drame, d’explorer la chronologie des procès, ainsi que de découvrir les principaux protagonistes, qu’ils soient accusateurs ou prétendues sorcières. Enfin, je vous proposerai une analyse de cette affaire afin d’y voir plus clair et de faire la part des choses entre « l’hystérie collective » et les éventuelles pratiques de sorcellerie qui auraient pu se dérouler à Salem.
Lorsque l’on pense à la chasse aux sorcières, il est courant que l’affaire de Salem soit immédiatement citée, au point de sembler supplanter toutes les autres.
Plusieurs raisons expliquent cela :
En premier lieu, le procès des sorcières de Salem a fait grand bruit, même à son époque, et il a ensuite inspiré de nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques. Mais ce n’est pas la seule raison : le contexte, l’ampleur et les conséquences de ce procès ont profondément marqué les esprits. Ainsi, George Lincoln Burr écrivait en 1914, dans Narratives of the Witchcraft Cases :
« Il a été dit plus d’une fois que la sorcellerie de Salem a été le roc sur lequel la théocratie s’est brisée. »
Avant d’entrer au cœur de notre sujet, il me semble important de contextualiser la période dite de la chasse aux sorcières et de tenter de définir ce que l’on entendait par « sorcellerie » à cette époque.
En premier lieu, et contrairement aux idées reçues :
La grande chasse aux sorcières ne se déroule pas au Moyen Âge, mais principalement à la Renaissance. Auparavant, l’ennemi public numéro un était l’hérétique (comme les Cathares ou les Vaudois), mais ces derniers n’étaient pas spécifiquement associés au phénomène de sorcellerie.
Pour être plus précis, on fait généralement débuter la chasse aux sorcières avec les procès de sorcellerie du Valais en 1428, à la fin du Moyen Âge, et elle se termine vers la fin du XVIIe siècle dans la plupart des régions. Cela nous amène à une première curiosité : l’affaire de Salem ne se déroule pas au cœur de la grande période de persécutions contre les sorcières, mais entre 1692 et 1693. Elle survient à un moment où ces persécutions étaient déjà largement interdites. Ainsi, Salem est en quelque sorte « anachronique » par rapport à l’air du temps. Nous tenterons de comprendre pourquoi ce procès marque la fin d’une époque.
Le deuxième point concerne la croyance aux sorcières :
Il est difficile de définir précisément la sorcellerie, mais si l’on s’en tient aux éléments centraux, pour les gens de l’époque, la sorcière était perçue comme une adepte de Satan. Elle aurait conclu un pacte avec lui et utilisé ses pouvoirs maléfiques pour nuire aux chrétiens.
Maintenant que nous avons établi ce contexte global, nous allons pouvoir examiner le déroulement des événements tragiques qui eurent lieu à Salem à la fin du XVIIe siècle.
Les origines de l’affaire de Salem :
Pour comprendre pleinement l’affaire de Salem, il est essentiel de remonter aux origines de cette tragédie, un peu plus de 100 ans avant les événements, en Angleterre.
Suite à la Réforme protestante du XVIe siècle :
L’Église d’Angleterre s’est détachée de l’Église catholique romaine. Mais, dans ce terreau, a émergé un nouveau mouvement religieux particulièrement austère, connu sous le nom de puritanisme. L’objectif des puritains était de réformer complètement l’Église d’Angleterre afin d’éliminer – ou de « purifier » – ce qu’ils considéraient comme des pratiques catholiques résiduelles, notamment une certaine forme d’idolâtrie. Les puritains prônaient une approche stricte et rigoureuse de la religion, mettant l’accent sur la piété personnelle, la moralité et l’étude littérale de la Bible. Ils aspiraient à une vie simple et austère, rejetant les pratiques liturgiques qu’ils jugeaient excessives ou non fondées sur les Écritures.
La prédestination et le conflit religieux :
Les puritains croyaient également en la doctrine de la prédestination, selon laquelle Dieu accordait le salut à certains individus dès leur naissance. Ces élus étaient destinés au paradis, tandis que d’autres, condamnés à l’enfer, ne pouvaient échapper à leur sort, quel que soit leur comportement. Ces convictions, associées à leur désir de réformer toute la société, les ont rapidement mis en conflit avec les autorités ecclésiastiques et politiques. C’est ainsi que certains puritains ont émigré volontairement en Amérique du Nord à partir de 1620. Ils y ont fondé des colonies puritaines, notamment la colonie de la baie du Massachusetts, qui nous intéresse ici.
Le cadre des colonies puritaines :
Dans leur nouveau cadre de vie, les puritains aspiraient à créer une société théocratique idéale, purifiée de tout compromis avec le mal, et à vivre selon des préceptes divins directement inspirés du Deutéronome. C’est dans ce contexte que, en 1626, fut fondée la ville portuaire de Salem Town, conçue comme une « Nouvelle Jérusalem » puritaine. Cependant, ce n’est pas là que débutera l’affaire de sorcellerie. Pour trouver son origine, il faut se tourner vers une petite localité voisine, fondée en 1636, connue sous le nom de Salem Village (aujourd’hui Danvers).
Les « deux Salem » :
La colonie des deux Salem était dirigée d’une main de fer par des leaders puritains dévoués à leur foi. La communauté était marquée par une piété intense, une quête constante de la vertu et une vision du monde dualiste, où le bien et le mal s’affrontaient sans relâche. À cela s’ajoutait une situation précaire pour les habitants, constamment menacés par les attaques des Amérindiens, perçus comme une force diabolique, parfois assimilés à des adeptes de la sorcellerie. La peur du diable et des forces du mal imprégnait le quotidien des habitants des deux Salem. Les puritains croyaient fermement en l’existence de Satan et de ses démons, et considéraient la sorcellerie comme un péché impardonnable. Toutes les pratiques jugées contraires aux enseignements bibliques étaient sévèrement réprimées.
La chasse aux sorcières en Europe :
La croyance en la sorcellerie était si profondément ancrée que les habitants de Salem trouvaient facilement des boucs émissaires à tous les malheurs qui s’abattaient sur eux. Cette posture n’était d’ailleurs pas propre aux puritains : au XVIIe siècle, la peur de la sorcellerie restait omniprésente en Europe, tant dans les régions catholiques que protestantes. Certains des procès les plus célèbres eurent lieu au début de ce siècle :
- L’affaire des possédées de Loudun,
- Ou celle des sorcières d’Aix-en-Provence.
Cependant, tandis que sur le vieux continent des voix s’élevaient pour dénoncer les chasses aux sorcières, les puritains maintenaient une véritable obsession autour des sorcières et des activités diaboliques. Toute personne marginale – guérisseuse, sage-femme ou simplement en désaccord avec le mode de vie puritain – s’exposait à la vindicte populaire.
Une société propice à la frénésie religieuse :
La fondation même de Salem, en tant que colonie puritaine, a créé un environnement fertile pour la frénésie religieuse et les accusations de sorcellerie. Pour aggraver les choses, le retour de la monarchie en Angleterre en 1660 relança les tensions avec les puritains. Contraints à l’exil, de nombreux puritains rejoignirent les colonies américaines, renforçant ainsi la colonie de la baie du Massachusetts. Nous sommes alors seulement 32 ans avant les événements tragiques de l’affaire des sorcières de Salem.
Le déclenchement de l’affaire :
Bien avant la première accusation de sorcellerie qui allait mettre le feu aux poudres en 1692, le véritable début de cette affaire pourrait se situer dès 1672, lors d’une simple querelle de voisinage entre Salem Town et Salem Village.
Contexte initial :
À cette époque, la situation était déjà tendue avec les tribus amérindiennes, rendant l’existence précaire dans la colonie de la baie du Massachusetts. Salem Town, grâce à sa position stratégique et à ses flux commerciaux en tant que port, s’en sortait relativement bien. En revanche, Salem Village, située dans les terres, vivait dans des conditions difficiles et restait sous la tutelle religieuse de sa grande sœur.
Pour affirmer leur désir d’indépendance, les habitants de Salem Village ont souhaité avoir leur propre pasteur. Après plusieurs tentatives infructueuses, c’est en 1689 qu’un pasteur nommé Samuel Parris s’installa à Salem Village, accompagné de trois femmes :
- Sa fille, Elizabeth Parris, surnommée Betty,
- Sa nièce, Abigail Williams,
- Et une esclave originaire des Caraïbes, nommée Tituba.
La montée des tensions :
Rien de notable ne se produisit durant les deux premières années, mais en 1691, des problèmes financiers éclatèrent entre Samuel Parris et les notables de Salem Village. Lors d’un sermon enflammé, le pasteur accusa Satan de fomenter un complot contre lui et, plus largement, contre l’Église puritaine. Il cita alors la célèbre phrase tirée de l’Exode 22:18 :
« Tu ne laisseras point vivre la magicienne. »
Sous-entendu : des sorcières agiraient à Salem Village, et il faudrait rapidement les démasquer. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que les premières accusations tombent, mais ce qui est curieux, c’est que tout débuta dans la maison même de Samuel Parris.
Déroulement des événements :
À la fin de l’année 1691, Betty Parris, âgée de 9 ans, et sa cousine Abigail Williams, âgée de 11 ans, étaient fascinées par les récits vaudous de leur servante Tituba. Elles lui demandaient régulièrement de pratiquer des jeux de divination et des invocations d’esprits. Lors d’une séance, les deux fillettes racontèrent avoir vu un spectre, et à partir de là, elles commencèrent à manifester des comportements étranges, associés à des symptômes de possession diabolique. Plongées dans un état de transe, les deux fillettes blasphémaient, avaient des convulsions, et émettaient des sons étranges dans une langue inconnue. Elles affirmaient également voir des entités qui les tourmentaient.
Dans un premier temps, des médecins furent consultés. Mais en février 1692, ces derniers conclurent que la sorcellerie était à l’œuvre. Un exorcisme fut alors organisé sous la conduite du pasteur Samuel Parris. Lors de ce rituel, il fut demandé aux « victimes » de révéler l’identité des sorcières ou autres serviteurs du diable responsables de leur malheur.
À l’aube de la tragédie :
Nous sommes ici à la fin de février 1692, et aux portes de ce qui deviendra la grande affaire de Salem.
Le procès des sorcières de Salem :
Le 1er mars 1692, trois femmes sont accusées de sorcellerie et emprisonnées. Il s’agit de : Tituba, une femme esclave originaire des Caraïbes qui aurait pratiqué le vaudou, Sarah Good, une mendiante, et Sarah Osborne, une femme âgée.
Ces trois femmes marginales étaient des cibles faciles pour une accusation de sorcellerie. Elles seront soumises à la question, mais aucune des deux Sarah n’avoue les crimes de sorcellerie. Il n’en sera pas de même pour Tituba. Cette dernière confesse pratiquer la divination et affirme qu’il existe une communauté de sorcières qui complote à Salem.
Pire encore, dans les jours qui suivent, plusieurs autres jeunes filles sont victimes du même mal que Betty et Abigail, comme par contagion diabolique. Pour en citer quelques-unes, il y avait : Betty Hubbard, Mercy Lewis, Mary Warren, Susannah Sheldon, et surtout Ann Putnam, âgée de 12 ans. Toutes ces fillettes avaient participé aux jeux de divination en compagnie de Betty et Abigail.
Les filles possédées lancent alors toute une série d’accusations, affirmant qu’une confrérie de sorcières se réunit dans les bois de Salem. De plus, depuis sa prison, l’esclave Tituba révèle également des noms, ce qui provoque un effet boule de neige. Les habitants de Salem Village commencent eux aussi à venir confesser « avoir aperçu des apparitions étranges », et chacun soupçonne son voisin de s’adonner à la sorcellerie.
En quelques semaines, l’épidémie de sorcellerie gagne les villages avoisinants et la ville de « Salem Town ». C’est d’ailleurs là-bas que le procès aura lieu, et c’est la raison pour laquelle on a pour habitude de placer l’affaire de « Salem » à Salem Town, même si l’affaire a bel et bien commencé à Salem Village. Ainsi, au mois de mars , c’est une dizaine de personnes qui sont emprisonnées, notamment : Dorothy Good, une fillette âgée de 4 ans, fille de Sarah Good, Rebecca Nurse, Abigail Hobbs, Deliverance Hobbs, Martha Corey, ainsi qu’Elizabeth et John Proctor.
À ce stade, ce sont les magistrats Hathorne et Corwin, et le vice-gouverneur Danforth, qui dirigent les interrogatoires, mais le procès à proprement parler n’a pas encore commencé. Les accusations continuent à pleuvoir et les prisons se remplissent au mois d’avril. Le 10 mai, la vieille Sarah Osborne meurt en prison à Boston, ce sera la première victime d’une longue série.
Le 27 mai : le gouverneur Phips met en place une cour de justice à Salem Town composée de sept juges (dont Hathorne et Corwin) pour juger les cas de sorcellerie. La procédure est cependant loin d’être équitable : les accusés étaient souvent privés de leurs droits, soumis à des interrogatoires coercitifs et contraints de prouver leur innocence.
De plus, les éléments à charge étaient basés sur les témoignages des jeunes filles accusatrices, qui étaient considérés comme des preuves suffisantes, même si ceux-ci étaient basés sur des visions et des prétendues interactions avec des esprits maléfiques. S’ajoutent à cela les ragots et les « on-dit » des habitants.
En juin : L’opinion publique commence à changer lorsque des personnes respectées et influentes sont accusées à leur tour. Parmi elles, Rebecca Nurse, une femme pieuse et respectée au sein de la communauté. Son arrestation et sa condamnation suscitent l’indignation et amènent de nombreux citoyens à remettre en question l’intégrité des procédures judiciaires. Une partie des habitants de Salem signe une pétition pour soutenir les accusés, mais, vous vous doutez de comment cela va finir… Les signataires rejoindront les rangs des autres sorciers et sorcières en prison.
Le 10 juin : Bridget Bishop est la première à être officiellement condamnée à mort pour sorcellerie et sera pendue.
Les 18 et 19 juillet : ce sont Sarah Brent, Rebecca Nurse, Susanna Martin, Elizabeth Howe, Sarah Good et Sarah Wildes qui seront exécutées pour crime de sorcellerie.
Un mois plus tard, le 19 août : ce sont George Jacobs, Martha Carrier, George Burroughs, John Proctor et John Willard qui sont pendus à Salem.
Le 19 septembre : Giles Corey, l’un des accusés, refuse de se soumettre au procès et sera mis à mort au cours d’une séance de torture qui avait duré 3 jours.
Le 22 septembre : Martha Corey, Margaret Scott, Mary Easty, Alice Parker, Ann Pudeator, Wilmott Redd, Samuel Wardwell et Mary Parker sont pendus pour sorcellerie.
Notons que plusieurs exécutions furent reportées parce que les femmes étaient enceintes. Il fallait donc attendre la naissance de l’enfant pour les mettre au gibet. Ce fut notamment le cas d’Elizabeth Proctor. Heureusement pour elles, plusieurs personnages, dont « les pasteurs Increase Mather et son fils Cotton », commencent à émettre de sérieux doutes sur les témoignages et les preuves. C’est notamment Increase Mather qui publie un texte intitulé Cas de conscience concernant les mauvais esprits. Dans ce texte, il déclare :
« Il apparaît préférable que dix sorcières suspectées puissent s’échapper, plutôt qu’une personne innocente soit condamnée. »
Dans la foulée, le pasteur Thomas Brattle écrit une lettre critiquant le procès en sorcellerie de Salem. En raison de cette lettre, le gouverneur Phips ordonne que le recours aux preuves intangibles et spectrales ne soit plus autorisé. Finalement, en octobre 1692, le gouverneur William Phips ordonne la suspension des procès en sorcellerie. Les prisons sont vidées et de nombreuses personnes libérées. Un mois plus tard, le 25 novembre : un Tribunal de la Cour supérieure est créé pour la colonie afin de juger les autres cas de sorcellerie dans l’avenir et éviter un drame comme dans l’affaire de Salem, notamment pour Elizabeth Proctor, dont le mari avait été pendu.
À ce stade, on peut dire que le procès des sorcières de Salem est terminé. Cependant, cette affaire va laisser de nombreuses cicatrices et ébranler le pouvoir des puritains.
Bilan et conséquences :
Après l’affaire, un bilan s’est dressé pour évaluer les dégâts :
- Ainsi, presque 200 personnes avaient été accusées de sorcellerie,
- 22 personnes furent exécutées,
- 5 autres sont mortes en prison,
- et enfin 15 personnes furent considérées comme possédées.
Des dizaines de vies furent brisées, des familles déchirées et une communauté traumatisée après ces événements. La confiance dans le système judiciaire avait été ébranlée, et la question de la responsabilité pour les erreurs commises se posait.
C’est ainsi que lors de l’année 1693, une remise en question des procédures judiciaires et la révision des condamnations ont été entreprises. Les témoignages des jeunes filles accusatrices ont été remis en cause, et les aveux obtenus sous la contrainte ont été considérés comme non fiables. Des efforts ont été faits pour restaurer la réputation des personnes condamnées à tort, mais les conséquences tragiques de l’affaire de Salem étaient déjà irréversibles.
L’affaire de Salem a suscité un profond questionnement sur la crédulité, l’hystérie collective et les dangers de l’accusation sans preuves tangibles. Elle a également mis en lumière les tensions sociales et les rivalités personnelles qui peuvent mener à de telles dérives. Les éléments religieux, la superstition et la peur du diable ont joué un rôle majeur dans l’alimentation de cette chasse aux sorcières.
Alors, que sont devenus les protagonistes :
- Le pasteur Samuel Parris a présenté des excuses publiques en 1694 et quitta Salem Village en 1697.
- Sa fille, Elizabeth Parris, est morte bien des années après les événements sans présenter aucune excuse pour les accusations qu’elle a proférées.
- Sa cousine, Abigail Williams, qui avait accusé plus de 50 personnes d’être des sorciers ou sorcières, est morte seulement 3 années après les événements sans avoir présenté aucune excuse.
- Ann Putnam, une autre fille possédée qui avait accusé 62 personnes, sera la seule à présenter des excuses publiques en 1706. Voici le texte :
« Je souhaite me mortifier devant Dieu pour la triste et humiliante providence qui a frappé la famille de mon père vers l’an 1692 ; que j’ai, étant enfant, pu, par une telle providence divine, devenir l’instrument d’accusations de plusieurs personnes pour des crimes graves, par lesquelles leurs vies ont été emportées et alors que j’ai maintenant de justes et bonnes raisons de penser qu’il s’agissait de personnes innocentes ; et que c’était une grande illusion de Satan qui m’abusa dans ce triste temps, illusion dont je crains à juste titre d’avoir été l’instrument, avec d’autres, quoique par ignorance et inconsciemment, pour répandre sur moi-même et sur cette terre la culpabilité d’un sang innocent ; bien que je puisse vraiment dire devant Dieu et les hommes que je ne fis pas par colère, méchanceté ou mauvaise intention envers quiconque, parce que je n’avais rien de tel contre aucun d’eux ; mais ce que je fis le fut par ignorance, étant abusée par Satan. Et en particulier, puisque je fus le principal instrument de l’accusation de maîtresse Nurse et de ses deux sœurs, je veux m’étendre dans la poussière et être mortifiée pour cela, de ce que j’ai été la cause, avec d’autres, d’une si triste calamité pour elles et leurs familles ; raison pour laquelle je veux m’allonger dans la poussière et sincèrement implorer le pardon de Dieu et de tous ceux à qui j’ai donné un juste motif de douleur et d’affront, dont les proches ont été emportés ou accusés. »
Elle mourut quelques années plus tard à l’âge de 36 ans.
Quant aux différents magistrats impliqués dans le procès et les condamnations, aucun ne fut jamais inquiété. Cependant, il leur fut expressément demandé de rédiger des excuses publiques afin de calmer la colère des survivants qui avaient perdu des proches.
Enfin, il nous faut toucher un mot sur le destin de l’une des principales figures de cette affaire, la prétendue sorcière Tituba :
Cette dernière fut l’une des premières à être accusée. Elle a même avoué pratiquer la sorcellerie et accusé d’autres personnes de pratiques semblables, et pourtant, elle ne sera pas condamnée à mort. Bien sûr, il est probable que ses aveux soient dus à la torture et aux mauvais traitements qu’elle a subis. Cependant, à la fin de l’affaire, elle rétracta ses aveux et fut libérée. Samuel Parris refusa de la reprendre à son service, et c’est un marchand de Boston qui l’acheta (je vous rappelle que l’esclavage existait toujours à cette époque). On ne sait ensuite rien de ce qui lui arriva dans les années suivantes.
L’affaire de Salem était terminée, mais les cicatrices étaient profondes et ont marqué durablement les colonies anglaises, futurs États-Unis d’Amérique. Cette affaire a aussi largement fragilisé les positions théologiques des puritains, et c’est peut-être l’une des raisons qui expliquent que ce pays n’est pas devenu une théocratie. Cependant, si l’histoire de Salem est finie, il nous reste encore à analyser certaines zones d’ombre de cette affaire.
Analyse de l’affaire :
L’affaire de Salem a inspiré de nombreuses œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques. Des romans tels que “Les Sorcières de Salem” d’Arthur Miller ont exploré les thèmes de la peur, de l’intolérance et de la manipulation collective. Ces œuvres contribuent à perpétuer la mémoire de l’affaire. Le film « Les Sorcières de Salem » de 1957 développe l’idée d’une vengeance féminine comme source initiale pour l’hystérie collective. Dans le film, la jeune Abigail Williams lance la première accusation dans le but de se venger de son amant John Proctor. Bien que ce soit une fiction, il est possible que la source des accusations provienne de motifs tout à fait pragmatiques.
Ainsi, sur un plan sociologique :
L’affaire de Salem met en lumière les dynamiques de pouvoir et les rivalités sociales qui peuvent conduire à des phénomènes d’accusation collective et d’hystérie. Une des raisons prend d’ailleurs naissance dans les tensions qui existaient entre les membres de la communauté de Salem Village face à Salem Town.
Notamment à cause des rivalités économiques et des conflits religieux, ce qui a contribué à l’escalade de l’hystérie et à l’identification de boucs émissaires. On remarque que la plupart des accusatrices étaient de Salem Village, alors que la plus grande part des accusés appartenait à des familles rivales de Salem Town. L’hystérie de Salem va ensuite monter en cascade, chacun suspectant son voisin de sorcellerie, ou profitant de l’occasion pour éliminer un rival, un amant, ou bien d’autres raisons encore. Cependant, s’il est probable que l’affaire de Salem puisse se résumer à une simple hystérie de village qui a dramatiquement mal tourné, il serait trop péremptoire de ne pas prendre le temps d’analyser cette affaire sur le plan de l’occultisme.
Alors, y a-t-il eu de la sorcellerie à Salem ?
Pour tenter d’en savoir plus, reprenons le fil des événements autour du trio central de cette affaire : Elizabeth Parris, Abigail Williams, et la prétendue sorcière vaudou Tituba. D’après les éléments d’époque, les jeunes femmes ont bel et bien manifesté des comportements étranges, que l’on qualifiait volontiers de possessions à l’époque. Elles ont pratiqué la divination et probablement d’autres rites sous une forme de jeux en compagnie de Tituba. Or, il est bien connu que les pratiques magiques (à défaut d’avoir une quelconque réalité) peuvent « à minima » provoquer des troubles psychiques.
Bien sûr, je ne suis pas en train de vous dire que Tituba était une sorcière au sens littéral comme le définirait l’Inquisition, mais de par ses origines et sa culture, elle pouvait naturellement avoir conservé des pratiques issues du vaudou ou de la Santería. Des rites qui sont de nature chamanique mais qui seront considérés comme de la sorcellerie pour les habitants puritains de Salem. De plus, n’oublions pas le contexte : la présence conflictuelle avec les Amérindiens a renforcé l’ambiance de superstitions. Les natifs américains, ayant eux aussi des pratiques chamaniques, pouvaient être considérés comme des sorciers pour les chrétiens de l’époque. Les échanges, même partiels, avec ces peuples ont pu donner l’envie à certains habitants de s’essayer aux pratiques magiques du paganisme.
Dans cet esprit :
L’une des accusations d’Abigail Williams était justement de dire que des habitants de Salem se réunissaient en forêt pour accomplir le sabbat. Bien sûr, il est largement possible que la jeune fille ait tout inventé, mais il est aussi concevable que certaines pratiques païennes aient eu lieu dans les forêts autour de Salem, ce qui bien entendu ne justifie en rien la condamnation que ces personnes ont subie.
Tituba, depuis la prison, a également accusé des habitants de Salem de pratiquer des rites forestiers. On peut supposer que des habitants de Salem aient sollicité Tituba pour divers rites, philtres ou autres pratiques magiques. Tituba les aurait alors accusés afin de sauver sa propre vie. Ce qui expliquerait aussi la clémence des autorités à son égard.
Donc, si l’on fait le bilan des faits :
• Nous avons une potentielle praticienne du vaudou,
• Des jeux de divination et d’invocation d’esprits, avec des adolescentes,
• Des phénomènes de transe ou éventuellement de possessions,
• Et un contexte superstitieux propice à l’hystérie.
Avec tout ceci :
Il ne me semble pas faire de doute qu’il y ait eu un phénomène d’égrégore. Non pas que je pense un seul instant que les accusés furent réellement des sorciers et sorcières, mais seulement que, via un jeu de suggestions et de contamination mentale : Une sorte de malédiction s’est écrasée sur Salem.
Du coup, les véritables sorciers, ou les serviteurs du malin, ne furent peut-être pas les victimes, mais les magistrats et autres accusateurs qui ont cru les récits des adolescentes Betty et Abigail, avec peut-être l’ombre des prêches enflammés de Samuel Parris en toile de fond.
Bibliographie :
- Dominique Labarrière, Le Bûcher des sorcières : Les plus grands procès de sorcellerie de l’histoire décryptés
- Liliane Creté, Sorcière de Salem
- Lauric Henneton, Histoire religieuse des États-Unis
- George Lincoln Burr, Narratives of the Witchcraft Cases
- Lien —Les procès des sorcières de Salem entre mythe et réalité : https://www.nationalgeographic.fr/histoire/les-proces-des-sorcieres-de-salem-entre-mythe-et-realite
- Lien — Procès de Salem, qui étaient les victimes ? : https://www.geo.fr/histoire/proces-de-salem-qui-etaient-les-victimes-211205
- 1957 : Les Sorcières de Salem de Raymond Rouleau.
- 2015 : The Witch de Robert Eggers.
- 2014 à 2017 : Salem, série américaine, par Adam Simon et Brannon Braga