Nombreux ont été les cultes et pratiques cultuels qui ont prospéré dans tout le monde romain. Nous vous proposons d’explorer, à travers une série d’article, la religion gallo-romaine, religions inhérentes aux provinces des Gaules. Comment s’est structurée cette religion, quels en sont les divinités, comment fonctionne-t-elles et comment a-t-elle évoluée ?
Nos connaissances dans ce domaine proviennent d’un bon nombre de sources. Les inscriptions iconographiques et épigraphiques, comme des dédicaces, (hommage à une divinité) sont les plus importants. Aussi, les bas-reliefs et la statuaire sont autant de témoignages sur les particularités de cette religion. Malheureusement, ces sources donnent peu détails sur le rôle des divinités et surtout la logique qui se cache derrière les quelques pratiques rituelles que ces premier documents ont réussi à nous apporter. Quelques témoignages écrits, votifs et textes divers sont plus bavards sur ces sujets, mais restent lacunaires. L’archéologie apporte, heureusement, nombre d’informations supplémentaires, inestimables, à travers les mobiliers retrouvés sur les lieux de culte. Mais beaucoup de ces découvertes apportent aussi son lot de nouvelles questions à résoudre. Malgré ces difficultés historiographiques et de recherches, ainsi que les questionnements et les débats encore en cours, la communauté de scientifiques travaillant sur ce sujet sont parvenus à reconstituer l’organisation et le fonctionnement de cette religion. Afin d’aborder tranquillement cette religion, commençons alors par nous concentrer sur les parties structurantes de celle-ci : les cultes civiques des cités.
- Les cultes publics des cités :
entre culte impérial et panthéons civiques.
Pour comprendre le fonctionnement de la religion gallo-romaine, il faut avoir un aperçu de l’organisation des Gaules à cette époque. En 12 avant J.C, le princeps Auguste inaugure à Lugdunum (Lyon), l’autel du Confluent : sanctuaire destiné à servir de lieu de réunion annuel des peuples gaulois. La fédération des Gaules est née. Cette Fédération se subdivise en trois grandes provinces : Lyonnaise, Aquitaine et Belgique. La quatrième province des Gaule, la Gaule Narbonnaise, n’en faisant pas partie. Ces trois provinces sont subdivisées en une soixantaine de civitates (territoires) respectant le plus souvent les anciennes frontières territoriales des peuples gaulois. Ces mêmes territoires sont subdivisés en pagi : circonscriptions rurales.
Très bien accueillie, cette restructuration influe peu l’organisation politique d’avant la conquête. Seul apport, celle de l’autorité suprême et unificatrice de l’Empereur et de l’administration impériale. Avec leur statut de cité, dite pérégrine, les différents peuples gaulois jouissent alors d’une certaine autonomie. Ils adoptent très aisément le modèle de gouvernance par un sénat de magistrats locaux élus, puisque que les nations gauloises étaient au préalable dirigées par des assemblées de notables. Néanmoins, ces changements amènent les communautés gauloises à repenser leurs systèmes socio-économiques, leurs besoins et leurs mœurs.
Ainsi naît la civilisation gallo-romaine. Les cités se construisent alors une nouvelle identité. Ces profonds changements sociétaux visent à s’intégrer dans la construction de l’état impérial. Les cités, et particulièrement les élites, cherchent à obtenir de nouveaux privilèges, droits et gravir les échelons juridiques de l’empire. C’est dans cette visée que les religions gallo-romaines sont repensées et transformées. Chacune des cités gauloises vont réorganiser leur religion en intégrant le fonctionnement du culte impérial et les divinités qui y sont associées, tout en transformant progressivement leur propre panthéon. Ainsi, Une pluralité de religions naissent, partageant une organisation et un fonctionnement similaire, mais se distinguer par leur panthéon et l’ensemble des pratiques religieuses propres à chaque cités. Mais, malgré ces différences, les religions des cités gauloises partagent tous un point commun, celui du culte rendu au Pouvoir impérial.
Le culte impérial : un culte unificateur.
Instauré sous le princeps Tibère, le culte impérial ou culte de l’auguste se répand assez vite en Gaule. Ce culte semble avoir été bien accueilli par les élites gauloises. La personne de l’empereur est déjà adulée lors de la création de la fédération des Gaules. A noter toutefois, le culte impérial n’est pas une vénération de la personne mais de la fonction impériale, des aspects divinisés du pouvoir et de son rôle fédérateur. L’Auguste/l’empereur divinisé est perçu comme le père de la Patrie, de la fédération et de la Pax Romana. On rend aussi hommage au genius (génie) et cognonem (surnom) de l’empereur ainsi qu’à la domus divina (Maison Impériale).
Ce culte s’illustre par des hommages envers l’empereur dans de nombreux aspects de la vie publique. Le culte impérial est présent partout dans les inscriptions et dédicaces religieuses. Toutes inaugurations d’édifices publics fait l’objet d’un hommage au culte de l’empereur. De plus, toutes nouvelles divinités instituées au panthéon de la cité obtiennent un rattachement au culte impérial. Certains chercheurs voit en la formule (Aug Sacrum/Aug et) qui accompagne les mentions des dieux, une évocation du culte impérial avec la mention d’Augustus). Mais d’autres chercheurs y voient juste les mots « saint » ou « sacré» sans que le lien à l’empereur soit avéré.
L’image de l’empereur était toujours présente dans les sanctuaires (sous forme de sculptures et de représentations murales) car tous rites rendus doivent s’effectuer en son nom. Dans certaines inscriptions, on retrouve souvent l’association de ce culte avec des divinités gallo-romaines, comme avec Gesacus Augustus et Rosmerta Augusta.
Certains cultes rendent hommage aux divinités rattachées à la maison impériale (ex : Apollon Augustus), comme la triade capitoline qui se répand au IIème siècle de notre ère (Minerve, Junon et Jupiter). Ce culte se développe dans les cités après que celle-ci aient obtenues la citoyenneté latine. Les cultes impériaux sont des cultes unificateurs, qui unissent les cités gallo-romains à l’empire. Jupiter est d’ailleurs l’une des divinités les plus vénérées. Dans les inscriptions, on retrouve souvent la mention Jupiter Optimus Maximus ou encore Fortuna Agustus.
Par des dédicaces, des constructions de temples, des inaugurations, l’ostentation du culte de l’empereur est pour l’élite gallo-romaine un moyen de prouver leur attachement à l’empire. Elle permet de leur assurer ainsi qu’à leur cité l’acquisition d’honneurs, voire de nouveaux statuts. Ainsi, cet aspect de la religion gallo-romaine, universelle à l’empire, a un intérêt essentiellement politique.
Les panthéons publics : une religion politique et identitaire
L’empire romain assure une très grande tolérance dans le domaine religieux, comme l’explique cicéron : « sua ciuique ciuitati religio, Laeli, est, nostra nobis » : A chaque cité/peuple sa religion, à nous la nôtre (Cicéron, Pro Flacco, 67-69). Ainsi, chaque cité gallo-romaine se dote d’un panthéon de dieux qui lui est propre, même si beaucoup d’entre-elles partagent les mêmes divinités. Toutes divinités constituant un panthéon est reconnue par l’Empire à l’égal de toutes autres divinités, en dehors des dieux capitolins et impériaux. Les panthéons ne sont pas figés et sont continuellement enrichis par l’apport et le retrait de divinités. Ce phénomène témoigne d’une très grande variété de divinités gallo-romaines Le panthéon d’une cité gauloise se compose d’une multitude de divinités, dominée par une divinité ou une triade protectrice appelé Numina pagorum (puissances divines du pagus).
Les divinités gallo-romaines sont complexes, avec des origines diverses et variées : indigènes mais aussi latines voire orientales. Ces divinités peuvent être des personnalités divines mais il s’agit plus souvent de puissances divines. On rend hommage à des attributs, des pouvoirs divins et des influences sur la nature, ou à des éléments plus abstraits comme les activités humaines. Le choix de ses divinités correspond aux nouvelles activités de la cité, aux nouveaux besoins et enjeu de la vie quotidienne.
Ces changements sont initiés par les élites locales, suivant deux visées politiques. La première participe à un phénomène plus global, celui de redéfinition des cités dans un contexte d’intégration à l’Empire et surtout de changements socio-juridiques. Mais ils vont aussi user de la religion civique comme moyen de s’attirer les faveurs impériales, afin d’obtenir la citoyenneté, pour eux-mêmes ou pour toute la cité. En effet, même si leurs nouveaux statuts les rendent autonomes, les cités ne disposent pas encore de la citoyenneté. En tout cas, jusqu’à que Claude accorde la citoyenneté latine à toutes les cités gauloises en 48, puis Caracalla accorde la citoyenneté romaine en 212. L’intégration des divinités impériales ou obtenir l’accord d’intégrer une nouvelle divinité locale dans le panthéon fait partie de cette politique.
L’organisation et l’administration de la religion publique des cités gauloises
Tous ces panthéons divins sont honorés à travers un réseau de sanctuaires, qui parsèment les cités. Ces grands ensembles cultuels sont de véritables lieux de vie et d’échanges, qui structurent l’urbanisation des agglomérations mais aussi les campagnes et organisent la vie quotidienne des populations gallo-romaines.
Les temples et autres édifices religieux gallo-romains
Les édifices cultuels sont majoritairement construits à l’initiative des élites gallo-romaines, dans la cadre de l’évergétisme : mode des élites de construire et d’entretenir, à leur frais, les bâtiments publics à l’intention de l’ensemble des citoyens, dans un intérêt politique et électoral. L’initiative peut être aussi communautaire, proposée et fait votée par les Duumvir, les haut-magistrats des cités, avec l’accord des gouverneurs de provinces.
En l’honneur de la maison divine, Orgétorix, fils d’A(…) a offert le théâtre, sur ses fond propres pour le besoin de la cité des Diaplintes.
Les chefs-lieux de cité abritent plusieurs grands complexes sanctuaires. Ces ensembles comprennent plusieurs autels dédiés aux différentes divinités principales de la cité et aux cultes de l’empire. Ils sont en général associés à des édifices civiques (basiliques) ou de spectacle (théâtres) et des galeries à portiques (pour clôturer le sanctuaire) accompagné d’un maceria/saeptum (enceintes). Ces galeries servent de lieux d’échanges commerciaux, liés à l’activité cultuelle du temple. Des ateliers de boucherie y sont retrouvés. Globalement, le développement de ces complexes fut progressif. Initialement construits en bois, ces complexes se modernisent progressivement au gré du développement des cultes et de l’évergétisme local. A côté de ceux-ci, une multitude d’autres petits temples, templa ou aedes (demeure du dieu) sont construits dans les zones péri-urbaines. Ces temples sont en général dédiés à des dieux liés à des activités. Il est fréquent de trouver des temples de Mercure-Hermès près de l’entrée des villes, et d’Apollon près d’édifices thermaux.
Dans les campagnes (pagi), des grand-ensembles, similaires à ceux des cités, sont construits dans les petites agglomérations secondaires et rurales (vici/vicus). Ils sont dédiés au genius pagus (la divinité du Pagus) qui correspond généralement aux dieux protecteurs de la cité, ou reprenant d’autres divinités indigènes locales. On constate que les divinités honorées dans les Vici ruraux correspondent souvent aux panthéons de la cité. Suivant l’atlas archéologiques publié en 1993, nous connaissons aujourd’hui 653 fana ou sanctuaires ruraux sur tout le territoire des provinces des Gaules au Haut-Empire. Pour la plupart en matière périssable, ces sanctuaires ont une forme carré et parfois octogonale. La majorité de ces petits temples sont construits et souvent contrôlés par des notables, propriétaires du domaine dans lequel le bâtiment est situé. Ainsi ces temples jouent aussi un rôle ostentatoire. Pour cela, ils sont bâtis sur des élévations naturelles pour marquer le paysage. En exemple, parmi les 209 lieux de cultes recensés dans le Nord-Est de la Gaule, 91 sont en position dominante. Parmi ces sanctuaires, on compte un grand nombre de lieux de culte dit « en plein air » ou « naturel ». Ces derniers nous sont connus par des inscriptions latines de textes votifs gallo-romains et des vestiges de mobiliers et offrandes rituels, retrouvés dans des grottes ou au pied de sources d’eau aménagées.
Qui sont les prêtres gallo-romains ?
Les prêtres nous sont connus uniquement par des inscriptions honorifiques ou funéraires. Ce sont des magistrats publics, élus, pour un an ou perpétuellement (dans un cadre honorifique). Ces prêtrises étaient l’une des étapes les plus prestigieuses de la carrière politique locale, attribuées aux citoyens les plus riches et les plus influents de la cité, à qui on reconnaît l’honneur de représenter le système religieux de la cité.
Parmi ces prêtrises on a :
Les sacerdoces (sacerdoces romae et augusti) qui sont des prêtres municipaux en charge du culte impérial et des cultes protectrices de Rome et de la cité. A travers plusieurs dédicaces, nous connaissons aussi les sacerdoces du confluent qui sont les prêtres des cultes protecteurs de la Fédération des Gaules.
Les flamines qui sont des prêtres chargés du culte d’une divinité. L’inauguration d’une nouvelle divinité s’accompagne de la création d’un flaminat perpétuel qui lui est dédié.
En l’honneur de la maison divine, Iucundinius, prêtre de Lavinium (sacerdo laurentium lavinatium), a fait faire(?) ce temple(?) à Mars Camulus.
Il est possible d’obtenir les deux magistratures en même temps. On connaît l’exemple d’un T. Flavius Postuminus, citoyen riedon, qui a revêtu le sacerdoce de Rome et d’Auguste et du flaminat perpétuel de Mars Mullo.
En revanche, ce sont l’ensemble des magistrats de la cité qui interviennent dans l’organisation et le financement des cultes et des fêtes. Dans les campagnes, ce sont des représentants du sénat de la cité qui gèrent les temples ruraux et péri-urbains (magistri fanorum/actores vicanorum). Par ailleurs, d’autres prêtrises existent, mais agissant hors du champ civique. Il s’agit de prêtres pour des cultes privés. Les Galles sont les prêtres du culte de Cybèle, par exemple.
Particularité, 4 inscriptions gallo-romaines du Ier siècle de notre ère ont été retrouvées, évoquant des Gutuater. Nous connaissons peu de choses sur cette prêtrise. César en fait mention dans la Guerre des Gaules. Globalement, les spécialistes supposent, avec prudence, qu’il s’agit d’une prêtrise gauloise, équivalente des druides, voire un synonyme, qui a perduré à l’époque romaine pour devenir une magistrature. Si une fonction étrangère devient une magistrature d’une cité, cela signifie qu’elle est reconnue par l’empire. Dans les inscriptions, le Gutuater est généralement lié à un dieu d’origine gallo-romaine.
Exemple d’une inscription éduenne :
« Consacré à Auguste, au dieu Anvallus, Norbaneius Thallus, gutuater de son vœu de bon gré et à juste titre. «
Conclusion :
A travers les différentes données disponibles, la religion gallo-romaine est un polythéisme communautaire, lié aux fonctionnements des cités. Elle participe à l’organisation de la vie publique dans les villes de cités. Cette religion, ses panthéons, ses sanctuaires et son organisation, se sont construits à l’initiative des élites. Elle participait à la redéfinition des cités, à obtenir les faveurs de l’empereur et de nouveaux privilèges ainsi qu’illustrer l’ascension sociale des communautés gauloises. L’organisation même des Gaules en cités autonomes, qui développent chacune leur propre panthéon et cultes, explique cette complexité. Ce phénomène justifie que plusieurs historiens préfèrent parler de plusieurs religions gallo-romaines au lieu d’une seule. Par ailleurs, cette religion évolue constamment suivant la « progression » juridique des cités au sein de l’empire, à travers l’introduction de nouvelles divinités et de nouveaux cultes. Ce phénomène enrichit encore plus cette religion. Mais quelles sont toutes ces divinités que vénèrent les Gallo-romains ?
Par Maccleod : Lien Discord
- Partie I. Les structures civiques de la religion gallo-romaine et son fonctionnement
- Partie II. Les panthéons gallo-romains
- Partie III. Rites et pratiques cultuelles
- Partie IV. L’évolution durant l’Antiquité tardive (IIIe-IVe siècle)
3 réflexions sur « La religion gallo-romaine. Partie I. Les structures civiques de la religion gallo-romaine et son fonctionnement »