Guanyin est l’un des principaux Bodhisattvas du bouddhisme chinois. Elle est également connue au Japon sous le nom de Kannon, ou encore Avalokiteśvara, son nom d’origine en Inde. Les traditions religieuses de l’Asie restent relativement peu connues en Occident, et pourtant, vous allez voir que nous pourrons faire de nombreux parallèles entre la figure mythique de Guanyin et certains mythes de la Grèce antique, notamment autour du voyage aux enfers.
Guanyin est considérée tantôt comme la déesse de la miséricorde, tantôt comme une immortelle taoïste. Notons encore que ce personnage féminin partage plusieurs points de ressemblance avec la figure chrétienne de la Vierge Marie, au point qu’on l’appelle parfois : la Vierge chinoise. Mais plus encore, au cours de cet article, nous verrons que d’une certaine façon, Guanyin partage aussi des points de correspondance avec Jésus-Christ, du moins dans sa forme originelle en Inde.
Introduction au bouddhisme mahāyāna et au concept de Bodhisattva
Avant de suivre les traces de Guanyin, il nous faut prendre le temps de toucher quelques mots sur les croyances du bouddhisme mahāyāna et sur ce qu’est un Bodhisattva.
Tout d’abord, les adeptes du bouddhisme aspirent à l’éveil spirituel, ou l’état de bouddhéité, qui leur permettra de rejoindre le nirvana et ainsi s’échapper du monde de la souffrance matérielle. Pour cela, ils suivent la loi du Dharma et les préceptes de Sakyamuni, plus communément appelés « le Bouddha ».
Mais attention, Sakyamuni n’est pas le seul bouddha ! C’est en réalité un titre pour tous les êtres ayant atteint le Nirvana. Ce n’est pas non plus un dieu, au sens chrétien du terme. Les bouddhas ne sont pas les créateurs ni les destructeurs du monde. D’ailleurs, le monde lui-même est considéré comme une illusion née de l’égo des individus, une sorte de projection mentale mise en forme, et dont il convient de se libérer.
Le monde serait une sorte de matrice, ou un logiciel créé par nos individualités égotiques, dans lequel nous nous réincarnons perpétuellement dans le cycle karmique.
Enfin, pour ce qui est des Bodhisattvas, et contrairement à certaines idées reçues, ils ne sont pas plus des divinités que les bouddhas. Au sens où ce ne sont pas des dieux polythéistes comme on en trouve dans les traditions égyptienne, grecque, ou encore celtique, même s’ils en partagent certains attributs. À l’origine, les Bodhisattvas sont des êtres humains qui ont atteint l’éveil spirituel et peuvent prétendre au statut de Bouddha, mais ils ont décidé de ne pas rejoindre le nirvana afin d’aider leurs semblables à atteindre aussi l’éveil spirituel. D’une certaine façon, l’on pourrait dire que les Bodhisattvas sont des forces intermédiaires entre les hommes et la bouddhéité, ou le statut d’être pleinement éveillé.
À ce titre, ils prennent un peu le même rôle que les anges ou les saints dans le christianisme, ou encore que les Daimon dans la religion antique des Grecs. Donc, vous aurez bien compris que les Bodhisattvas forment une « sorte de panthéon » relativement important, et de fait, ceux qui ne sont pas adeptes du bouddhisme les perçoivent comme un corpus de divinités polythéistes.
Bien sûr, il existe des Bodhisattvas dont le culte est plus important que d’autres, et parmi les plus célèbres et les plus vénérés de Chine, nous allons justement trouver Guanyin, un Bodhisattva féminin associé à la compassion. Précisons encore que son culte n’est pas spécifique à la Chine. Au Japon, elle s’appelle Kannon, et son culte est tout aussi important dans le cadre du bouddhisme zen. On la retrouve encore en Corée sous le nom de Gwaneum, ainsi que dans la plupart des pays où le bouddhisme est présent.
Seulement voilà, son histoire est tout sauf simple ! Nous allons devoir faire un détour par l’Inde afin de comprendre ses origines et son cadre d’apparition, puisque dans les premiers temps du Bouddhisme primitif, Guanyin était un homme et portait le nom d’Avalokitasvara.
Avalokitasvara, le Jésus bouddhiste :
Bien que le bouddhisme ait quasiment disparu de l’Inde, et intégralement du Pakistan, c’est dans l’espace culturel indien que cette religion a pris naissance. Elle s’est ensuite largement diffusée dans l’Asie de l’Est et du Sud-Est.
Parmi les figures mythiques, Avalokitasvara, qui se traduit en sanscrit par « le seigneur qui observe les sons depuis le haut », est le Bodhisattva de la compassion suprême, et il fut de ce fait particulièrement vénéré. D’ailleurs, c’est probablement la figure la plus importante de la branche bouddhisme du « Mahayana » (ou le grand véhicule), qui est principalement répandue en Chine, en Corée et au Japon.
Sur un plan historique l’apparition d’Avalokitasvara sur la scène religieuse reste difficile à définir avec précision. Néanmoins, ses premières représentations n’apparaîtront qu’au deuxième siècle de notre ère dans « le Gandhara », soit au nord-ouest de l’actuel Pakistan, sur la route de la soie.
Pour avoir quelques repères temporels, précisons que le bouddhisme prend naissance à la frontière de l’Inde et du Népal, au 5e siècle av. J.-C., au moment de la vie de Sakyamuni, mais lors des premiers siècles, il n’existait pas de statuaire religieuse, seulement les textes que l’on appelle : Sutras. La représentation en statues des bouddhas et des Bodhisattvas ne commence que lors du 2e siècle de notre ère dans l’Empire Kouchan, dans la région du Gandhara.
On parle alors d’un Art gréco-bouddhique. Un nom étrange pour ce style artistique de l’Asie ? La raison est pourtant assez simple, mais pour le comprendre, il nous faut revenir quelques siècles dans le passé.
Lors des conquêtes d’Alexandre le Grand au 4e siècle avant notre ère, l’influence hellénistique va s’étendre jusqu’au Gandhara. Précisons que le Bouddhisme existait déjà, et ce sera donc le premier véritable contact « direct » entre la culture et la philosophie grecque, et la religion de Sakyamuni.
Au 3e siècle av. J.-C. : Le Gandhara est sous la domination des Séleucides (des Grecs héritiers de l’empire d’Alexandre dans cette région). Rapidement, la région passe sous le contrôle de l’Empire Maurya qui unifie l’Inde et le territoire anciennement séleucide. Mais la dispute du territoire se poursuit au 2e siècle av. J.-C., lorsque le Royaume Gréco-Bactrien fait la conquête du Gandhara et repousse les Maurya du territoire.
Pour ces trois siècles de troubles, on parle de la période « indo-grecque », et fatalement, le syncrétisme des cultures se fait progressivement.
À ce stade, le bouddhisme est l’une des religions les plus importantes du secteur, mais on ne parle pas encore de « Mahayana », mais du bouddhisme ancien ou « Hinayana » (terme qui sera donné ultérieurement et de façon péjorative).
Dans cette forme de bouddhisme des origines, la définition et le rôle des Bodhisattvas ne sont pas identiques au futur Mahayana. Ici, les Bodhisattvas sont des individus qui s’approchent de l’état de Bouddhéité, dans une sorte de demi-éveil, mais ils ne sont pas des guides à proprement parler.
Revenant à l’aspect historique : au premier siècle de notre ère, alors que naissait le christianisme au Proche-Orient, c’est l’invasion des Parthes dans le Gandhara, puis finalement le peuple Yuezhi qui domine la région. Les Yuezhi sont un peuple originaire de la Chine, qui fonde l’Empire Kouchan au nord de l’Inde, au Pakistan, et en Afghanistan actuel.
On observe à ce stade un véritable syncrétisme entre les divinités grecques et celles des Yuezhi, mais aussi avec les religions locales. On parle alors d’une religion « gréco-bouddhique » pour la qualifier. Cela marque également la première phase de modification du bouddhisme, qui prendra alors le nom de « Mahayana » ou grand véhicule, et qui va faire une large place au culte des Bodhisattvas.
Le Mahayana est né dans ce terreau complexe avec des influences hellénistiques, chinoises par les Yuezhi, et bien sûr sur le bouddhisme ancien. C’est dans ce contexte improbable que va apparaître la statuaire et l’Art gréco-bouddhique, avant notamment la figure d’Avalokitasvara, le Bodhisattva de la compassion.
Dans une lecture bouddhiste, il s’agit donc d’un humain ayant atteint l’éveil, mais s’étant donné pour mission d’aider tous ses semblables à suivre ce chemin. Le rôle du Bodhisattva Avalokitasvara est d’être un intermédiaire entre les hommes en quête de l’éveil et le Bouddha Amitābha (le bouddha de la terre pure, lui-même apparu sensiblement à la même époque).
Il semble important de s’attarder sur ce point, à savoir le développement du culte des Bodhisattvas et principalement d’Avalokitasvara, ainsi que l’évolution du bouddhisme originel.
Pour les peuples polythéistes du secteur il existait un large panthéon de divinités et chacune ayant des fonctions précises. Ainsi, les Bodhisattvas et Bouddhas pouvaient entrer en syncrétisme avec les anciennes divinités païennes sans créer de rupture violente avec les anciennes croyances. Dans cette lecture, le Bodhisattva Avalokitasvara fait office de divinité bienveillante, proposant une porte d’entrée pour adhérer aux croyances bouddhistes.
Si l’on osait une comparaison, nous pourrions dire qu’Avalokitasvara ressemble à Jésus, qui apporte le message aux hommes afin de retrouver le chemin du Père que l’on peut comparer à Amitābha dans le bouddhisme Mahayana.
Un peu poussé quand même, me direz-vous ? Eh bien, pas tant que ça si l’on considère le point de vue bouddhiste sur Jésus et la période d’apparition des deux religions.
Pour les adeptes du bouddhisme Mahayana, Jésus est lui-même un Bodhisattva, soit, si vous préférez, un être éveillé venu apporter sur terre un message d’amour, de paix, et de compassion, mais dans un territoire donné et de façon adaptée au peuple qui y réside. Dans cette lecture :
• Avalokitasvara est adapté aux habitants de l’Inde,
• Jésus est adapté au bassin méditerranéen
• et Mahomet est adapté à l’Arabie.
Notons enfin le plus important : le contexte d’apparition d’Avalokitasvara, au 2e siècle. En réalité, il est probable que ce Bodhisattva existait depuis quelque temps, mais le contexte syncrétique du Gandhara a peut-être favorisé ce processus. On pourrait même hypothétiser des jeux d’influence entre Avalokitasvara et le Jésus des évangiles, sans pouvoir dire qui influence l’autre.
Alors, Avalokitasvara, jumeau asiatique de Jésus, pourquoi pas, mais l’histoire de ce Bodhisattva ne s’arrête pas là, nous n’en sommes en réalité qu’au début, car ce personnage va largement évoluer lors de son passage en Chine.
Les évolutions d’Avalokitasvara :
Rappelez-vous que les Yuezhi, fondateurs de l’empire Kouchan au 1er siècle, étaient originaires de Chine, et vont largement participer à l’évolution du Bouddhisme primitif qui n’était pas adapté à leur propre terrain culturel.
Le concept des Bodhisattvas existe déjà aux premiers temps du bouddhisme, mais il est réservé à l’usage des princes, voire même uniquement pour Sakyamuni (lorsque l’on parle de ses vies passées). Avec le Mahayana, les Bodhisattvas se multiplient et prennent une place centrale.
Les peuples nouvellement convertis au bouddhisme avaient vécu dans un terreau polythéiste, ainsi les Bodhisattvas pouvaient permettre un glissement facilité vers le bouddhisme. Les anciens dieux devenant des Bodhisattvas par syncrétisme. Par la suite, les Yuezhi étant originaires de Chine, cela va favoriser la diffusion du bouddhisme Mahayana vers leurs terres d’origine.
Ainsi, la religion de Sakyamuni se diffuse en Chine dès le 1er siècle de notre ère puis se diffuse par la suite en Corée au 4e siècle, au Japon au 5e siècle, puis au Tibet au 7e siècle. Paradoxalement, le bouddhisme allait progressivement disparaître de la terre qui l’avait vu naître, le coup de grâce lui sera donné par l’invasion des musulmans qui détruisent les édifices et forcent à la conversion au cours des 9e et 10e siècles.
Mais le bouddhisme continuait son chemin dans les autres contrées, et portait dans ses bagages le culte d’Avalokitasvara, Bodhisattva de la compassion. Suivant les territoires et les langues locales, il prendra des noms différents, mais son importance ne fera que croître :
• En Chine : Guanyin est la traduction en chinois d’Avalokitasvara. Le changement le plus notable était sa féminisation. Notons que c’est un phénomène relativement rare, la raison exacte reste difficile à définir, cependant je vous livrerai par la suite une théorie personnelle, qui à défaut d’être la bonne, se veut, à minima, cohérente.
• Au Tibet : Avalokitasvara prendra le nom de Chenrezig. J’en profite d’ailleurs pour répondre à une question que vous vous êtes peut-être déjà posée. Au Tibet, le Dalaï Lama est le chef spirituel le plus important du bouddhisme tibétain, il se réincarne perpétuellement dans de nouveaux corps, mais de qui est-il la réincarnation à l’origine ? Eh bien justement, vous l’avez deviné, le Dalaï Lama est censé être la réincarnation d’Avalokitasvara, Bodhisattva de la compassion, dont il est le véhicule terrestre.
• Au Japon : le bouddhisme se diffuse par la Chine et la Corée et de fait Avalokitasvara sera également présenté sous une forme féminine, sous le nom de Kannon. Cela se traduit par : Celle qui observe le son, mais au sens, celle qui entend les cris et les souffrances du monde. Pour cette raison, elle est représentée avec mille bras et mille yeux apportant son soutien à tous ceux qui sont dans le besoin.
Mais pour le moment, concentrons-nous sur Guanyin, la version chinoise, et la légende qui lui est associée.
L’histoire de Guanyin :
Le culte d’Avalokitasvara arrive en Chine aux premières heures du bouddhisme chinois sous le nom de Guanyin, cependant, sa féminisation ne sera pas immédiate, mais seulement via un long processus informel qui deviendra définitif lors du règne de la dynastie des Song, entre le 10e et le 11e siècle.
Pour comprendre la place de Guanyin, il est nécessaire de faire un petit focus sur l’évolution religieuse de la Chine entre le 1er et le 10e siècle.
À l’arrivée du bouddhisme en Chine sous la dynastie des Han au 1er siècle, la Chine possède déjà ses propres croyances. En premier lieu, c’est la religion traditionnelle, de type animiste ou polythéiste et qui compte des centaines de divinités ou de grands esprits. Nous trouvons ensuite le Taoïsme, qui a également pris corps sous la période des Han. Notons que contrairement au Bouddhisme, le Taoïsme est un pur produit chinois. De fait, lors de l’arrivée du bouddhisme, cette nouvelle religion est vue comme étrangère et concurrente des systèmes en place et va avoir du mal à prospérer dans les premiers siècles.
Mais la situation change à la chute de la dynastie des Han, la Chine entre dans une période de troubles, qui prend le nom de période des Trois Royaumes. La Chine est ravagée par les guerres et l’instabilité politique. On peut comparer la situation avec la chute de Rome et les invasions barbares en Occident. Dans ce contexte, où la vie est particulièrement précaire et hasardeuse, la philosophie bouddhiste va se présenter comme une réponse adaptée pour la population. Les monastères sont édifiés en grand nombre et les sutras sont traduits en chinois.
Fatalement, le culte du Bodhisattva de la compassion prend tout son sens dans cette période où la vie ne tient qu’à un fil.
Il faudra attendre le 7e siècle et la dynastie des Tang pour que la Chine retrouve une réelle stabilité politique. À ce stade, les trois religions sont bien implantées, mais le bouddhisme est toujours vu comme une religion étrangère. Il y aura même une phase de persécution, les monastères seront détruits, mais rapidement la situation se calme et les Tang encouragent plutôt la coexistence entre les trois tendances religieuses.
C’est ainsi que les trois systèmes religieux, bien que très différents à l’origine, vont finir par s’influencer mutuellement. Pour que cela fût possible, il fallait néanmoins des points d’accroche. Voyons cela plus en détail :
• La religion traditionnelle : de type animiste, possède un large panthéon de divinités. Les bouddhistes vont alors réinterpréter ces divinités, mais en tant que Bodhisattvas, soit ayant eux une existence humaine dans les temps anciens. Si vous préférez, les anciens dieux sont réactualisés.
• De leur côté : les taoïstes font la même chose avec les anciens dieux, mais ils utilisent aussi les figures principales du bouddhisme pour en faire des immortels taoïstes, et les bouddhistes font la même chose dans l’autre sens.
Pour le cas spécifique de Guanyin dans le panthéon traditionnel, elle sera la déesse de la miséricorde. Dans le bouddhisme et le taoïsme, elle sera respectivement, un Bodhisattva de la compassion, ou une immortelle. De ce fait, les deux nouvelles religions lui prêtent une origine humaine dans les temps anciens.
Mais ce n’est qu’au 11e siècle, lors de la période des Song que la légende se structure et que la féminisation de Guanyin devient définitive. Je pense que c’est en raison du syncrétisme avec la religion traditionnelle que Guanyin est devenue une femme. Le concept de miséricorde ou de compassion était déjà présent dans la culture chinoise sous une forme féminine, aussi bien dans le culte traditionnel que le taoïsme, de fait, c’est le bouddhisme qui s’est adapté sur cette question.
À l’inverse, dans d’autres cas, c’est le bouddhisme qui va influencer les autres courants, notamment au niveau de la vision des enfers. Mais pour Guanyin, nous pouvons dire à ce stade que c’est un Bodhisattva qui est beaucoup plus chinois qu’indien, et c’est uniquement sous cette forme qu’elle va se répandre en Corée et au Japon.
De plus Contrairement à sa version indienne, Guanyin va bénéficier d’un récit mythique quant à ses origines. Ainsi, celle qui est à la fois un Bodhisattva et une immortelle taoïste, aurait autrefois été une humaine du nom de Miao Shan, ayant vécu au temps de la dynastie Zhou, soit au 1er millénaire avant notre ère. Cependant, comme vous vous en doutez, cette légende possède des variantes suivant le cadre religieux.
La légende de Miao Shan :
Dans sa version bouddhiste, la légende nous dit que Miao Shan était la fille du roi Miaozhuang. N’ayant pas eu de fils, il souhaitait marier sa fille à un riche seigneur voisin, mais la jeune fille avait d’autres projets. Elle voulait entrer dans un monastère bouddhiste et se faire nonne. Le père refuse et emploie de nombreux stratagèmes afin de la détourner de cette voie, mais rien n’y fait et Miao Shan finit par s’enfuir pour rejoindre un monastère, le temple de la Pagode de l’Oiseau blanc.
Miaozhuang excédé décide d’employer les grands moyens. Il ordonne de détruire le monastère par le feu. Miao Shan savait que le malheur s’abattait sur le monastère à cause de sa présence. Elle mit à prier les bouddhas et Bodhisattvas afin qu’ils interviennent pour sauver le monastère et les innocents qui y résidaient. Immédiatement, la pluie s’abat et éteint l’incendie.
Le père, hors de lui, donne l’ordre de capturer sa fille et la fait enfermer dans une prison de son palais. Il lui impose des conditions strictes quant à son futur mariage, mais rien n’y fait, Miao Shan refuse. Le père menace de la tuer, mais la jeune fille l’ignore complètement et reste dans un état de méditation.
C’est alors la mère de Miao Shan tente de la faire renoncer à la vie sacerdotale. Pour cela, elle organise une fête somptueuse comme personne n’en avait jamais vu, pensant que Miao Shan ne pourrait jamais résister aux nombreux délices de ce monde. Une nouvelle fois, c’est un échec complet et la jeune fille ignore complètement ses parents. Finalement, aux grands maux les grands remèdes, le père décide de la faire exécuter publiquement.
Simple et expéditif…
Le lendemain, Miao Shan est conduite sur la place publique pour être mise à mort. Le bourreau la frappe de son sabre, mais protégée par l’aura des bouddhas, l’arme se brise sur le corps de la jeune femme. Le bourreau n’aura pas plus de succès avec sa lance, alors le père de Miao Shan donne l’ordre de l’étrangler avec une bande de soie.
Miao Shan meurt, mais immédiatement un tigre surgit sur la place et emporte le corps de la jeune femme dans la forêt. Il dépose la dépouille loin de tout passage dans un endroit calme et introuvable au cœur de la forêt. Le corps de la jeune fille ne semble pas souffrir de la mort, il semble plutôt comme endormi.
Sur le plan spirituel : C’est ici que commence le voyage aux enfers de Miao Shan. Et nous ne manquerons pas de faire un nouveau parallèle avec Jésus qui meurt sur le Golgotha pour sauver l’humanité.
Une fois que l’âme de Miao Shan est arrivée dans le monde des morts (Diyu) dirigé par le terrible Yan Wang, la jeune fille observe les souffrances des habitants de ce monde. Alors, prise d’une immense compassion, elle se met en prière afin de soulager les tourments des condamnés.
Là encore, on retrouve le symbolisme de Jésus qui passe deux nuits aux enfers afin de soulager les maux des défunts avant sa résurrection le troisième jour. Devant la ferveur de Miao Shan, l’enfer se change en paradis et tous les supplices prennent fin, de la même façon que dans la légende grecque d’Orphée qui enchante les enfers à l’aide de la Lyre.
Yan Wang, le seigneur du monde souterrain, étant désemparé. Il ne pouvait pas tolérer cela. Ainsi, il demande avec insistance aux bouddhas et Bodhisattvas de renvoyer Miao Shan loin de son royaume, sur la terre des vivants, afin que les choses puissent rentrer dans l’ordre aux enfers.
Immédiatement, le miracle s’accomplit et Miao Shan se réveille dans son corps intact, encore une fois de la même façon que Jésus.
Mais les aventures de Miao Shan ne s’arrêtent pas là. Elle n’est pas encore un Bodhisattva, mais seulement une humaine sur le chemin de l’éveil. Miao Shan se réveille seule dans la forêt profonde et croise la route d’un personnage qui tombe immédiatement sous son charme et la courtise. Le voyageur d’une grande beauté souhaite l’épouser, mais Miao Shan refuse avec insistance.
Le voyageur révèle alors sa véritable nature de Bouddha Tathāgata et félicite la jeune fille pour sa ferveur lors des diverses épreuves qu’elle a dû traverser.
Le voyage initiatique de Miao Shan se poursuit, Tathāgata conduit la jeune fille à la pagode du mont des Parfums où elle pourra prier en toute sérénité loin des tourments du monde. Miao Shan va consacrer sa vie à la prière pendant neuf années jusqu’au jour où un homme se présente devant la pagode afin de solliciter un miracle auprès d’une personne sainte, dans le but de guérir son mal déclaré incurable par tous les médecins.
Le visiteur n’était autre que Miaozhuang, le père de Miao Shan en personne, qui ignorait bien sûr que c’était sa propre fille qui résidait dans le sanctuaire. La maladie de Miaozhuang ne pouvait pas être guérie par les remèdes classiques, il fallait le sacrifice d’un œil et d’un bras comme compensation pour chasser le mal, à la façon d’un exorcisme pour ses nombreux péchés.
À la connaissance du prix de compensation, Miao Shan n’hésite pas un seul instant et se mutile un œil et un bras dans un acte suprême de compassion. Le miracle s’accomplit dans la foulée et Miaozhuang retrouve la santé. C’est alors qu’il découvre l’identité de sa bienfaitrice. Il tombe à genoux et implore le pardon de sa fille pour tous les tourments qu’il lui avait infligés par le passé. Miao Shan lui accorde bien entendu son pardon.
À la suite de sa guérison, le vieil homme fait édifier un grand temple en l’honneur de sa fille sur une montagne sacrée. Quelques années plus tard, au bout des neuf années de prière, une grande cérémonie a lieu dans la pagode du mont des Parfums. Tous les bouddhas et Bodhisattvas sont conviés pour assister à la mort physique de Miao Shan, mais surtout à son éveil spirituel.
C’est l’heure du rite d’ascension. Miao Shan va quitter son enveloppe humaine et devenir un Bodhisattva sous le nom de Guanyin. Miao Shan n’avait pas souhaité rejoindre le nirvana des bouddhas, elle préfère rester auprès de tous les êtres sous la forme d’un Bodhisattva pour offrir sa compassion à l’humanité, ainsi qu’à tous les êtres, et faciliter leurs périples vers l’éveil spirituel.
Si l’on se place dans une lecture taoïste, la légende possède évidemment des variables. Le monastère devient une montagne sacrée taoïste, et ce ne sont pas les bouddhas qui interviennent, mais l’empereur de Jade ou les esprits des immortels. De plus, Miao Shan possède elle-même des pouvoirs surnaturels propres aux immortels taoïstes. Ainsi, c’est elle qui crache vers le ciel pour appeler la pluie et éteindre l’incendie. Dans d’autres situations, elle pique le palais céleste avec son épingle de bambou afin d’attirer le regard des divinités, les poussant ainsi à agir. À la fin de l’histoire, elle s’élève ainsi au statut d’immortel.
Dans tous les cas, Miao Shan devenue Guanyin sera la figure divine la plus vénérée de la Chine. Elle est la mère bienveillante de toute l’humanité qui apporte la compassion suprême. Alors maintenant, ayant observé les origines et l’évolution de Guanyin, tentons d’analyser cette figure centrale du bouddhisme Mahayana, et nous allons également la comparer avec certains archétypes occidentaux.
La vierge asiatique :
S’il est probable que Guanyin soit devenue un Bodhisattva féminin dans le but de correspondre « par syncrétisme » aux figures divines du panthéon traditionnel de la Chine, facilitant ainsi la conversion des populations attachées aux anciennes figures divines, cela pose néanmoins quelques questions.
Pourquoi ne pas faire correspondre Avalokitasvara indien avec une divinité masculine du panthéon chinois ? La réponse me semble basée sur les fonctions de ce Bodhisattva, soit la compassion suprême. Or, cette fonction est plus facilement dévolue aux femmes qu’aux hommes dans les panthéons traditionnels. Cependant, vous pourriez me rétorquer qu’Avalokitasvara est un homme dans le bouddhisme indien, et il représente bien la compassion ? Cela est vrai, cependant, il faut s’intéresser au cadre culturel de la Chine et de l’Inde qui sont totalement différents.
S’il ne fait pas de doute que les deux sociétés sont de nature patriarcale au 1er siècle de notre ère, il n’empêche que dans le cadre religieux, les figures divines féminines sont largement plus importantes en Chine qu’en Inde. Dans l’hindouisme, les déesses sont réduites au second plan, celui de parèdre ou de figure diabolique comme Kali. La Trimurti divine hindoue, soit les figures centrales, est composée de trois dieux : Shiva, Vishnou, et Brahma.
Bien sûr, la place des déesses a son importance notamment dans le cadre du tantrisme et des yogas, mais nous entrons ici dans le domaine ésotérique qui n’a plus rien à voir avec la religion publique.
Dans le bouddhisme Mahayana de l’Inde, c’est à peu près la même chose, les Bodhisattvas féminins sont quasi inexistants. De ce fait, le Bodhisattva de la compassion y est naturellement un homme, sans que cela ne choque la population.
Quand le bouddhisme passe en Chine, le cadre est totalement différent. Les cultes traditionnels possédaient un large panthéon de déesses ayant une importance cosmogonique, comme chez les Grecs, les Égyptiens, ou les Celtes. On citera notamment Nuwa, la déesse civilisatrice qui crée l’humanité, ou encore Xīwángmǔ, la reine mère de l’Ouest qui règne sur le palais des immortels.
De fait, l’Avalokitasvara indien est devenu une femme sous le nom de Guanyin, plus adaptée pour représenter la compassion dans la culture chinoise, comme l’ont aussi fait les chrétiens avec Marie.
Au commencement du christianisme, le positionnement était basé sur le modèle patriarcal judaïque, qui ne laisse pas de place à la figure féminine. C’est Jésus lui-même qui assure le rôle de la grande compassion, il faudra attendre le 3e siècle pour que le culte marial se développe suite au cadre culturel des populations nouvellement converties.
De plus, cette évolution, n’est pas un fait volontaire du christianisme, mais plutôt une adaptation de l’église face à la subsistance du culte des déesses mères (ou Magna Mater), telles Isis, Déméter, ou encore Cybèle. Ainsi, le culte de Marie a servi de substitution, devenant le symbole chrétien de la compassion hérité du paganisme. Ainsi, le christianisme, bien que de nature patriarcale, a fait une petite place à Marie Théotokos (ou mère de Dieu) qui remplit « le rôle » de grande déesse apportant la compassion pour tous les êtres, mais leur apporte également son aide pour la voie du salut.
Ainsi, vous aurez compris que Marie et Guanyin partagent de profondes similitudes, dans les deux cas, c’est un héritage des anciennes Magna Mater des cultes païens. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, Guanyin devenue femme va continuer son périple en Corée, puis au Japon sous le nom de Kannon.
De la même façon, il serait erroné de dire que le Japon antique est de nature matriarcale, néanmoins, dans le cadre religieux, les déesses ont toujours eu une bonne place à l’instar de la Chine ou des Celtes.
C’est facilement observable : la déesse Amaterasu, kami du soleil, est la principale divinité du Shintoïsme. Ainsi, Kannon sera naturellement l’une des principales figures du bouddhisme japonais. D’ailleurs, l’un des pèlerinages principaux du Japon lui est dédié. C’est le Pèlerinage de « Kansai Kannon » qui compte un circuit de 33 temples.
On ne manquera pas de faire une nouvelle fois l’analogie avec le culte marial en France, qui compte des centaines de lieux de pèlerinage. Dernier point qui démontre la proximité entre la figure de Marie et de Kannon, lorsque le christianisme fut interdit au Japon en 1614, les quelques chrétiens restants utilisaient la figure de Kannon afin de vouer un culte discret à Marie.
D’où le nom de Maria-Kannon au Japon, ou de la Vierge chinoise pour Guanyin. Cependant, si le rôle de Marie est limité dans le christianisme à celui de mère de Jésus et de figure compatissante, il n’en est pas de même pour Guanyin. Ce Bodhisattva n’est pas seulement une figure passive, mais bel et bien un chemin d’éveil pour accéder à la terre pure d’Amitābha. Sur ce point, Guanyin ressemble beaucoup plus au Christ qu’à Marie.
Le chemin de l’éveil :
Si Jésus et Avalokitasvara partagent de nombreuses connexions, notamment l’idée de paix et de compassion, ils illustrent surtout le chemin du Salut. Les rapprochements sont encore plus vrais avec la version Guanyin de ce Bodhisattva.
Si l’évangile de Jean nous dit en parlant de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. », on pourrait reprendre cette phrase dans un cadre bouddhiste et la traduire en ces termes : « Moi, Guanyin, suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul n’accède à la Terre Pure Amitābha que par moi. »
Bien que les doctrines chrétienne et bouddhiste soient très éloignées, voire antinomiques, elles possèdent néanmoins des archétypes communs. On pourra rétorquer qu’il existe une différence de taille entre Jésus et Guanyin. Le premier a vécu au 1er siècle de notre ère, alors que rien ne permet de l’affirmer pour le second au-delà du mythe de Miao Shan. De plus, on nous dira que Jésus est Dieu fait homme, alors que Guanyin n’est qu’une simple Bodhisattva.
Cependant sur ce deuxième point, c’est oublier un élément essentiel : un Bodhisattva est déjà un être ayant atteint l’éveil « donc la bouddhéité », mais il a décidé, d’un acte volontaire, de rester afin d’aider ses semblables. Sur ce point, c’est exactement la même idée que Jésus « Dieu lui-même » qui s’est fait homme pour apporter la révélation aux hommes.
Enfin, on notera l’analogie la plus importante, la mort et la résurrection. Miao Shan, avec un corps humain, meurt et apporte sa compassion aux enfers, puis revient à la vie, comme Jésus. À la suite de cela, Miao Shan s’élève à la bouddhéité, de la même façon que Jésus retourne aux cieux.
Le bilan de ce comparatif illustre à mon sens l’idée d’un archétype invariant qui apparaît naturellement dans les cultures. On pourrait ainsi faire les mêmes rapprochements avec les figures de Dionysos chez les Grecs, Osiris chez les Égyptiens, ou encore Krishna en Inde.
Dans une lecture ésotérique, la légende chinoise de Miao Shan illustre parfaitement la relation entre Catabase et Anabase. Elle présente un schéma commun avec les mythes grecs, sur la déification d’un individu suite à un processus initiatique. Bien sûr, les aspects moraux sont spécifiques au bouddhisme Mahāyāna, mais le cœur du processus se retrouve dans la fable. Pour plus d’explications sur les processus initiatiques à travers le monde, les rites de Catabase et d’Anabase, je vous renvoie à la lecture de mon dernier livre « Arcana Mundi – Les rites d’initiations » dont vous trouverez le lien en description de cette vidéo.
Pour conclure :
Je vous citerai le mantra de Guanyin, ou de la grande compassion : « Om mani padme hum ». Bien que difficile à traduire, il peut se résumer ainsi : « La contemplation suprême du diamant ou du joyau dans le lotus ou la perfection ».
Merci, cela m’aide à faire un petit lien entre le Bouddhisme et la Chrétienté. Je pense que toutes les spiritualité ont une part de la vérité et qu’il faut les étudier ensemble.