Gilles de Retz, aussi connu sous le nom de Gilles de Rais, est une figure énigmatique de l’histoire française. Connu pour ses exploits militaires pendant la guerre de Cent Ans, il est également tristement célèbre pour ses sombres pratiques occultes et les atrocités qu’il aurait commises. Nous allons explorer les différentes facettes de cet homme complexe, de ses débuts en tant que vaillant chevalier à sa chute en tant que l’un des sorciers les plus notoires du Moyen Âge.
Le Maréchal de France
Gilles de Rais fut une figure importante de la guerre de Cent Ans et l’un des plus célèbres sorciers du Moyen Âge. Histoire et mythologie se sont progressivement mélangées pour former l’une des légendes les plus célèbres de la sorcellerie française. Avant de s’intéresser aux affaires diaboliques du baron de Retz, il convient de présenter rapidement la vie du personnage :

Gilles de Rais est né au château de Champtocé, en Anjou, vers l’année 1403. Il est issu de l’union de plusieurs familles nobles et prestigieuses d’Anjou et de Bretagne. Sa jeunesse fut tumultueuse : ses parents moururent, et son éducation fut assurée par son grand-père, Jean de Craon. Les projets de mariage le concernant furent nombreux, mais n’aboutirent pas. Finalement, Gilles décida de kidnapper sa fiancée et riche héritière, Catherine de Thouars, en 1420, et l’épousa en secret. Catherine était sa cousine, et l’Église s’opposa à cette union, la déclarant illégitime. Cependant, en 1422, l’union fut finalement reconnue comme valide.
À la même période, la Bretagne était ravagée par une guerre de succession. Le baron de Retz soutint Jean V de Bretagne, qui fut finalement victorieux, ce qui accrut les privilèges et les possessions territoriales de Gilles de Rais. Gilles devint l’un des plus puissants seigneurs de son temps, possédant de nombreuses seigneuries et places fortes en Bretagne et en Anjou, la plus importante étant celle de Tiffauges, en Vendée.
À la même époque, la France était enlisée dans un conflit avec les Anglais. Les seigneurs angevins et bretons se rangèrent du côté de la France grâce à l’entremise de Yolande d’Aragon, la belle-mère du dauphin Charles VII. Gilles de Retz commença à apparaître aux côtés des armées françaises en 1425. Deux ans plus tard, Jean V de Bretagne changea d’alliance et se rallia aux Anglais. Le baron de Retz, quant à lui, désobéit à son seigneur et resta fidèle au dauphin Charles VII. Gilles devint l’un des principaux capitaines du camp français et mit à profit sa colossale fortune pour mener une véritable guérilla contre les Anglais aux frontières de l’Anjou et de la Bretagne. Il conquit des forteresses, paya des rançons pour libérer des captifs et s’engagea corps et âme dans la défense de la France de Charles VII. Cependant, il fut également impliqué dans des guerres territoriales avec d’autres seigneurs locaux, sur fond de guerre anglo-française. L’année 1429 vit l’arrivée de Jeanne d’Arc sur la scène politique. Gilles de Retz fut présent à Chinon lors de l’arrivée de Jeanne et de sa rencontre avec le dauphin. La légende raconte qu’il fut l’un des plus fidèles compagnons de la Pucelle, et certains évoquent même un amour platonique entre les deux, bien que cela repose davantage sur le mythe que sur les faits historiques. Dans la foulée de la rencontre de Chinon, Gilles de Retz participa activement à la libération d’Orléans face au siège anglais et à la reconquête qui s’ensuivit. Le 17 juillet 1429, Charles VII fut couronné roi de France dans la basilique de Reims et, dans la foulée, Gilles de Retz fut élevé à la dignité de maréchal de France et siégea au conseil royal, la plus haute distinction militaire.
En 1430, Jeanne d’Arc fut capturée puis emprisonnée à Paris. Le roi refusa de se porter à son secours et l’abandonna à son sort, mais Gilles de Rais tenta de sauver la Pucelle, sans succès. Jeanne mourut sur le bûcher l’année suivante, à Rouen. Gilles de Rais se trouvait à une trentaine de kilomètres lors de l’événement, et certains historiens y ont vu une dernière tentative pour faire évader Jeanne. Gilles de Rais continua à servir les armées du roi, mais les tensions commencèrent à naître. De plus, le baron de Retz était ruiné à cause de ses dépenses astronomiques. Il aurait dilapidé sa fortune en fêtes somptueuses et autres plaisirs, mais également en dépenses militaires. Gilles entretenait son armée avec ses propres deniers, mais lorsqu’il ne fut plus en capacité de le faire, il tomba progressivement en disgrâce.
En 1435, il perdit le commandement militaire de l’armée royale et Charles VII le plaça sous interdit après qu’une plainte eut été déposée par la famille du baron, l’accusant de dilapider la fortune familiale. Gilles se retira dans ses domaines et ne participa plus aux combats, si ce n’est dans ses luttes de pouvoir avec les seigneurs bretons et angevins.
Le Sorcier Tueur d’Enfants
Gilles de Rais était immensément riche avant sa participation active au conflit anglo-français. Le baron faisait étalage d’un luxe outrageux pour lui et sa cour de fidèles, ainsi que pour l’entretien de son armée, mais à partir de 1432, l’argent commença à manquer. Gilles se mit alors à vendre certains de ses domaines à Jean V de Bretagne afin de juguler l’hémorragie financière, mais sans succès.
C’est dans ce contexte que le baron de Retz sombra dans les affres diaboliques. Cherchant des moyens de restaurer sa fortune, il sollicita des alchimistes afin de trouver la pierre philosophale, sans succès. Deux personnages entrèrent alors dans sa vie : le premier était un prêtre apostat de Saint-Malo, et le second, bien plus important, se nommait François Prélati, originaire de Florence. Prélati se présentait comme alchimiste et magicien, proposant au baron d’assurer sa prospérité grâce à des pratiques de magie noire.

Gilles de Rais fit installer des laboratoires dans ses châteaux afin de pratiquer des cérémonies diaboliques. Il faisait enlever des enfants par ses sbires, Henriet et Poitou, officiellement en promettant aux familles de leur offrir une meilleure vie en tant que pages ou enfants de chœur. En réalité, ces enfants étaient conduits dans les salles secrètes du baron de Retz, où ils étaient livrés à des cérémonies sordides qu’il vaut mieux taire. Le but était d’accomplir des actes abjects pour satisfaire le diable dans des rituels de magie noire. Les parents des enfants disparus gardaient le silence, probablement sous la menace, mais les rumeurs des actes sordides du baron commençaient à se répandre. Les corps des victimes étaient brûlés ou enterrés dans les environs du château, mais personne ne parlait des crimes de Gilles de Rais et de ses sbires, sans doute par peur du destin funeste qui les attendrait.
Le baron diabolique ne retrouva pas pour autant sa fortune. Bien au contraire, le diable ne remplit pas les coffres de Gilles de Rais et l’alchimiste Prélati ne réussit pas non plus à fabriquer de l’or. Les crimes continuèrent jusqu’en 1440, et plusieurs dizaines d’enfants disparurent. Gilles de Retz était un noble influent, ce qui le protégeait en partie de la justice. Malgré les rumeurs et les disparitions, il semblait intouchable. Cependant, il commit une erreur qui allait révéler ses exactions.
Toujours en difficulté financière en 1440, Gilles de Rais vendit l’une de ses seigneuries à Geoffroy de Ferron, un proche de Jean V, duc de Bretagne. Geoffroy confia la châtellenie de Saint-Étienne-de-Mer-Morte à son frère, Jean de Ferron. Mais le baron de Retz, sujet à des sautes d’humeur, changea d’avis et décida de reprendre son bien, ce que Jean de Ferron refusa. Hors de lui, Gilles de Rais attaqua l’église de Saint-Étienne-de-Mer-Morte pendant l’office, menaça de tuer Jean et finit par l’emprisonner dans son château de Tiffauges. Il venait ainsi de commettre un double crime : celui de lèse-majesté divine (pour l’attaque de l’église) et celui de lèse-majesté ducale (pour avoir porté atteinte à l’autorité du duc de Bretagne). C’est l’évêque de Nantes, Jean de Malestroit, qui ouvrit une double procédure contre Gilles de Rais, l’une séculière et l’autre pour sorcellerie. Plusieurs témoins furent entendus, et les langues commencèrent à se délier.
Le 13 septembre 1440, Gilles de Retz fut convoqué pour répondre aux accusations de “meurtres d’enfants, sodomie, pacte avec le démon, crime d’hérésie et lèse-majesté”. Deux jours plus tard, les soldats du duc de Bretagne se rendirent au château de Machecoul pour arrêter le baron ainsi que ses deux serviteurs, Henriet et Poitou.
Le Procès de Gilles de Rais

Le procès de Gilles de Rais débuta seulement quelques jours après son arrestation. Pour l’accusation séculière, l’affaire fut présidée par Pierre de l’Hospital, au service de Jean de Malestroit, évêque de Nantes et chancelier du duc de Bretagne. L’accusation d’hérésie, de pratiques diaboliques, de viols et de meurtres d’enfants fut confiée au vice-inquisiteur Jean Blouyn. Les deux premières audiences ne mentionnèrent pas les affaires d’hérésie, de crimes d’enfants et autres rites satanistes, mais se concentrèrent sur les crimes séculiers, notamment l’attaque de la chapelle et l’enlèvement de Jean de Ferron.
Jean de Touscheronde poursuivit les interrogatoires des parents des enfants disparus et constitua un dossier d’accusation. Des fouilles furent organisées dans les différentes demeures du baron, et de nombreux cadavres d’enfants furent retrouvés. Les acolytes de Gilles de Rais furent également interrogés et confessèrent que leur maître se livrait à des pratiques d’alchimie afin de fabriquer la pierre philosophale. Il aurait envoyé des émissaires dans toute l’Europe pour trouver des maîtres de l’art magique. C’est ainsi que François Prélati entra à son service en 1438. Blanchet et Poitou déclarèrent également que leur maître les envoyait quérir des enfants et pratiquait ensuite des actes contre nature avec eux, avant et après les avoir tués dans le cadre de rituels démoniaques. Les corps étaient ensuite brûlés et les cendres dispersées au vent, mais certains furent enterrés dans les alentours des châteaux ou dans les cryptes. Gilles de Rais aurait fait aménager des laboratoires dans certaines pièces de ses châteaux afin de se livrer à ses pratiques occultes.
L’alchimiste florentin François Prélati fit également des confessions sur les arts d’invocation qu’il aurait accomplis en présence de Gilles de Retz. Il prétendait pouvoir entrer en contact avec diverses entités et détenir les secrets de la pierre philosophale. Il n’y avait plus de doute sur la culpabilité du seigneur de Retz : il ne restait plus qu’à lui arracher les aveux.
Au mois d’octobre, Gilles de Rais fut cité plusieurs fois à comparaître face aux divers témoins et à la présentation des preuves. Le baron refusa de reconnaître les actes d’hérésie et les crimes contre les enfants, déclara le tribunal incompétent pour le juger et accusa à son tour les juges de simonie. Gilles de Retz fut excommunié pour apostasie hérétique, ce qui provoqua un revirement de sa part le 21 octobre. Il finit par accepter ses juges en tant qu’autorités compétentes et se déclara coupable des crimes qui lui étaient reprochés, tout en affirmant être un bon chrétien. Précisons qu’en tant que noble, le baron ne fut pas soumis à la torture.

Le 25 octobre, Gilles de Rais fut condamné à mourir sur le bûcher pour crime d’invocation du démon, pour le meurtre de 140 enfants, ainsi que pour la pratique de la sodomie sur ses victimes. Pierre de l’Hospital lui accorda toutefois la liberté de choisir sa date d’exécution ainsi que la faveur d’être pendu avant d’être brûlé partiellement, afin que son corps puisse reposer en terre d’église. L’exécution eut lieu le lendemain, et Gilles de Rais fut ensuite enterré au couvent des Carmes. Son tombeau fut détruit par la suite lors de la Révolution française, avec toutes les autres tombes d’aristocrates.
Conclusion
L’histoire de Gilles de Rais est une tragédie mêlant gloire et infamie. Ce noble, autrefois respecté pour son courage et ses exploits militaires, sombra dans l’horreur et la perversion, laissant derrière lui une légende noire. Son procès et son exécution ont marqué les esprits et restent un témoignage de la lutte entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, dans une époque où la frontière entre légende et réalité était souvent floue.
Bibliographie
- Matei Cazacu, Gilles de Rais
- Stanislas de Guaita, Essaie de Sciences Maudites T1 : Le temple de Satan
- Procès de Gilles de Retz (actes numérisés, cotes E 189-1 à E 189-3), Trésor des chartes, Procédures civiles et criminelles, site des Archives départementales de la Loire- Atlantique Procès de Gilles de Rais, Documents précédés d’une introduction de Georges Bataille
- Jacques Chiffoleau, « Gilles, la vérité, l’histoire : un médiéviste et le procès du sire de Rais », Cahiers Gilles de Rais
- Jacques Chiffoleau, « Gilles de Rais, ogre ou serial killer ? », L’Histoire, no 335, octobre 2008
- Olivier Bouzy, « La réhabilitation de Gilles de Rais, canular ou trucage ? », Connaissance de Jeanne d’Arc, Chinon, no 22