La forêt de Brocéliande est un lieu magique que l’on retrouve principalement associé à la légende arthurienne. C’est dans cette forêt mythique que nous retrouvons les aventures de Merlin, des chevaliers de la Table ronde et des magiciennes Viviane et Morgane, ainsi que d’autres noms célèbres.
La forêt mythique, sources et localisation
De nos jours, Brocéliande est identifiée à la forêt de Paimpont en Bretagne. Son paysage imaginaire ne se limite pas seulement au légendaire arthurien : c’est un site riche de son patrimoine archéologique avec l’édification de plusieurs monuments mégalithiques qui furent eux-mêmes associés aux légendes de la Table ronde.

La tradition locale est riche de son patrimoine mystérieux. La forêt serait habitée par le petit peuple de Bretagne, des créatures magiques parmi lesquelles : les fées, les korrigans et autres salamandres. Il s’agit de vestiges de l’ancienne tradition celtique ou de la Matière de Bretagne, qui s’est préservée sous la forme de superstitions pendant le Moyen Âge et la christianisation de ce territoire.
Il existe cependant des débats sur la position exacte de la forêt de Brocéliande. Bien que la forêt autour du village de Paimpont soit la seule à être présentée sous le nom de Brocéliande, elle possède des concurrentes pour le titre. Notamment la forêt d’Huelgoat dans le Finistère, qui possède également un riche patrimoine archéologique et certains lieux associés à la légende arthurienne. L’endroit n’est pas moins magique que la forêt de Paimpont et laisse place à l’imaginaire.
Parmi les autres candidates, nous trouvons :
La forêt de Logre au sud de Saint-Brieuc dans les Côtes-d’Armor, Une autre à proximité du mont Saint-Michel en Normandie ou encore près de Dol-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine. Une autre théorie place Brocéliande en Grande-Bretagne.
D’autres chercheurs affirment que la Bretagne, ou plus largement l’Armorique, était couverte de forêts à « l’hypothétique époque arthurienne du Ve siècle » et que toute la région prendrait le nom de Brocéliande, ce qui est inexact sur le plan historique et géologique. Pour finir, il existe un autre courant qui considère que Brocéliande est un lieu symbolique qui n’a pas d’existence réelle. De ce fait, chaque forêt peut devenir Brocéliande sur un plan mystique.
La question qui va nous intéresser maintenant concerne les sources et l’origine de la légende, à cheval entre la Grande et la Petite Bretagne. D’ailleurs, la forêt légendaire ne s’est pas toujours appelée Brocéliande : à l’origine, elle portait le nom de Brecheliant.
La première occurrence textuelle apparaît chez Wace, un auteur normand du XIIe siècle qui travaillait pour Henri II Plantagenêt. Dans son texte Le Roman de Rou, il raconte les invasions vikings de Rollon, l’histoire de la Normandie, puis la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. L’un des hommes de Guillaume, Raoul II de Montfort, seigneur de Gaël en Ille-et-Vilaine, serait parti à la guerre avec les hommes de Brecheliant. L’auteur nous parle également de la fontaine de Barenton et de ses eaux miraculeuses. Cette fontaine existe réellement et se trouve dans la forêt de Paimpont, avec la ville de Gaël juste au nord, ce qui tend à accréditer la localisation de Brocéliande dans cette forêt.
C’est seulement avec Chrétien de Troyes, un auteur français du XIIe siècle, que le mot Brocéliande apparaît comme une francisation de Brecheliant. L’auteur va nous reparler de la forêt magique dans l’une de ses œuvres, Yvain ou le Chevalier au lion, et la suggérer dans son Perceval ou le Conte du Graal. Une partie des aventures d’Yvain ont lieu dans la forêt de Brocéliande : il va combattre un chevalier noir à proximité d’une fontaine magique et d’une grosse pierre en forme de perron. À noter que la fontaine n’est pas nommée et que Chrétien de Troyes, qui est originaire de Champagne, place la forêt de Brocéliande en Grande-Bretagne, sachant qu’il reprend lui-même la légende du texte de Wace. Notons quand même que la description de la fontaine magique de Chrétien de Troyes ressemble beaucoup à la fontaine de Barenton, que Wace avait déjà présentée et qui se trouve en forêt de Paimpont.
Plusieurs auteurs ultérieurs mentionneront Brocéliande sans lui donner de position exacte, elle reste néanmoins en Bretagne armoricaine. Ils vont cependant enrichir le légendaire du lieu, notamment Robert de Boron, qui va lui associer le personnage de Merlin. L’absence de sources ne permet pas d’affirmer l’existence de Brocéliande avant le XIIe siècle. Cependant, il semble évident que les auteurs du mythe arthurien s’appuient également sur le légendaire local et sur les traditions de la Matière de Bretagne, qui préexistaient à l’écriture des textes. Brecheliant, le nom donné par Wace, serait lui-même une déformation de Brécilien en langue celtique et pourrait se traduire par « la colline à l’anguille », bien que d’autres hypothèses étymologiques soient proposées avec les mots lande, marécage ou castrum. Dans tous les cas, le terme Brécilien se retrouve plusieurs fois en Bretagne pour désigner une motte castrale de la période médiévale : la première à Paule, à proximité de Carhaix-Plouguer, la seconde à Priziac, et pour finir le Brécilien à proximité de Paimpont et Montfort. Rappelons-nous que Wace, dans Le Roman de Rou, présente les hommes de Brecheliant sous la conduite du seigneur Raoul II de Montfort.
La localisation semble s’affirmer en 1467 avec l’écriture de la charte Usemens et Coutumes de la forêt de Brécilien par le chapelain du comte de Laval au château de Comper, lui-même situé en forêt de Paimpont. Le texte reprend les éléments du Roman de Rou, l’histoire de la fontaine magique ainsi que le perron qui fait pleuvoir. Il ne faut cependant pas oublier que de nombreux seigneurs souhaitaient revendiquer de vivre sur les anciennes terres d’Arthur. Ce sera notamment le cas des seigneurs de Rohan et du château de la Joyeuse Garde dans le Finistère.
Au début du XIXe siècle, François-Gabriel-Ursin Blanchard de La Musse aura une importance décisive dans le choix de la localisation de Brocéliande. Ce dernier, reprenant la charte de 1467 écrite au château de Comper, va nommer certains lieux de la forêt de Paimpont en référence au légendaire arthurien, notamment le tombeau de Merlin et le Val sans Retour, associé à la légende de Morgane la fée. En 1850, la forêt de Paimpont sera considérée officiellement comme la Brocéliande des légendes arthuriennes…
Légende de Brocéliande
Pour commencer, nous avons la petite ville de Paimpont qui trône en plein cœur de la forêt. Le lieu est notable pour son abbaye, un ancien monastère du XIIIe siècle, lui-même construit en remplacement d’un autre monastère bénédictin du VIIe siècle, qui aurait été fondé par Saint Judicaël, marquant ainsi l’empreinte chrétienne sur la forêt.

Poursuivons avec l’un des lieux les plus célèbres de Brocéliande, la fontaine de Barenton. Il s’agit d’une source d’eau à laquelle furent prêtées des vertus médicinales ou magiques depuis la période antique, et qui sera nommée dans Le Roman de Rou de Wace. L’auteur aurait d’ailleurs visité le lieu. L’une des particularités de Barenton vient du fait que l’eau semble en ébullition occasionnellement, bien que sa température reste perpétuellement à 10°. Le phénomène serait dû à des bulles d’azote qui remontent à la surface, mais d’autres considèrent que la fontaine répond aux sollicitations magnétiques des visiteurs.

Ses eaux auraient la faculté de guérir la tuberculose et les maladies mentales. Ironiquement, le lieu-dit avoisinant porte le nom de Folle Pensée. La légende raconte que pour appeler la pluie en période de sécheresse, il fallait verser de l’eau sur le perron. Un jour, un chevalier noir vint garder le lieu et, chaque fois que l’eau était versée sur le perron, le chevalier apparaissait dans les sous-bois pour défier l’imprudent.
Bien des chevaliers ont succombé aux coups du gardien de la fontaine en tentant de briser la malédiction. C’est Yvain qui finit par le vaincre et devint à son tour le gardien des lieux. C’est également sur le perron que Merlin venait s’asseoir pour méditer sur le monde et composer ses formules magiques. Il y aurait rencontré la fée Viviane et serait tombé amoureux. Certains se rendent à la fontaine pour adresser des prières au sage Merlin ou entrer en contact avec les forces telluriques invisibles qui sortent de la terre.
Nous trouvons ensuite plusieurs monuments mégalithiques :
L’Hotié de Viviane ou tombeau des druides est un monument daté sensiblement de 3500 à 2500 av. J.-C. Il s’agit d’un coffre funéraire où furent retrouvées plusieurs céramiques et des haches polies qui étaient enterrées avec les défunts. Le site fut associé à la légende arthurienne comme maison de la fée Viviane à partir du XIXe siècle. Préalablement, il était considéré comme une ancienne nécropole druidique dans le légendaire breton.

Nous trouvons ensuite le tombeau de Merlin, un petit menhir isolé datant du Néolithique. Autrefois, il faisait partie d’un ensemble plus conséquent, une allée couverte. De la même façon que l’Hotié de Viviane, le site fut associé à la légende arthurienne au XIXe siècle par Blanchard de La Musse.
Légende de Merlin et Viviane
La légende de l’amour entre Merlin et Viviane est omniprésente dans la forêt. Après leur rencontre à la fontaine de Barenton et la romance qui s’ensuivit, le sage Merlin était régulièrement sollicité pour se rendre à la cour du roi Arthur. Mais Viviane s’inquiétait de ses absences et souhaitait que son bien-aimé reste auprès d’elle pour l’éternité, de peur qu’il succombe aux charmes d’une autre femme. C’est ainsi qu’elle demanda à Merlin de lui enseigner tous ses sortilèges magiques, notamment celui des neuf cercles, qui permettait d’emprisonner une personne dans une prison de courants d’air. Merlin, qui n’était pas dupe, lui enseigna néanmoins le sort, et Viviane l’emprisonna pour l’éternité dans la forêt magique. Les légendes nous disent que l’on peut encore entendre les lamentations du magicien si l’on prête l’oreille en déambulant dans la forêt. Au tombeau de Merlin, les visiteurs déposent des couronnes de fleurs et des messages afin que le grand enchanteur exauce leurs souhaits.
À quelques pas, nous trouvons une ancienne fontaine datant probablement de l’époque romaine. Elle sera renommée fontaine de Jouvence au XIXe siècle par Jean Côme Damien Poignand. La fontaine pourrait apporter les vertus de l’éternelle jeunesse à ceux qui en boiraient. Autrefois, cette fontaine était surtout une source d’eau capitale pour les habitants du lieu, mais la magie des lieux l’associa aux anciens mythes de l’éternelle jeunesse.
Nous trouvons ensuite d’autres sites mégalithiques qui ne sont pas spécifiquement rattachés au légendaire arthurien :
Le tombeau des Géants, un monument datant de l’âge du Bronze, bâti en utilisant trois menhirs plus anciens. Les fouilles archéologiques ont révélé la présence de poteries et de lames de silex. La légende raconte qu’il s’agirait de la tombe d’un géant tué par les chevaliers de la Table ronde.

Le Jardin aux Moines ou Jardin des Tombes, un complexe mégalithique datant du Néolithique (entre 5000 et 2500 av. J.-C.), où furent retrouvés plusieurs tessons de poterie et outils de silex. Selon la légende, des seigneurs et des moines adeptes de la magie noire s’y livraient à des orgies et sacrifices. Saint Méen les surprit et leur ordonna de se confesser. Face à leur refus, une sanction divine s’abattit sur eux, les changeant en pierre.
De nos jours, il n’est pas rare de voir des séminaires chamaniques se tenir sur ce site, en quête des énergies de la terre.
Le tombeau des Anglais, situé dans le lieu-dit des Brousses Noires, doit son nom à la bataille de Mauron en 1352, durant la guerre de Succession de Bretagne. Il s’agit d’une ancienne allée couverte datant d’environ 3000 av. J.-C.
Brocéliande, c’est aussi le pays des châteaux, des églises et autres stèles :

Le château de Trécesson, réputé pour être hanté par une Dame Blanche qui apparaîtrait les soirs de pleine lune.
L’église Sainte-Onenne à Tréhorenteuc, aussi appelée église du Graal. Restaurée entre 1942 et 1962 par l’abbé Gillard, elle mélange symbolique chrétienne, traditions païennes et légendes arthuriennes. On y trouve des représentations du Graal, de la fée Morgane et d’un Christ sous la forme d’un cerf blanc.
Le château de Comper, qui abrite aujourd’hui le Centre de l’Imaginaire Arthurien. Selon la légende, la Dame du Lac y vivrait et Merlin lui aurait bâti un palais de cristal sous l’eau.
Le manoir du Tertre, lié à la littérature ésotérique et aux sociétés secrètes. Hugo Pratt y séjourna, tout comme Dan Brown lors de ses recherches pour Le Da Vinci Code.
Le Val sans Retour

Le Val sans Retour, domaine de la fée Morgane, est l’un des lieux les plus célèbres de la forêt. C’est ici que Morgane punissait les hommes infidèles en les emprisonnant dans une prison invisible. La malédiction aurait été brisée par Lancelot, resté fidèle à sa bien-aimée. Aujourd’hui encore, le Val sans Retour attire de nombreux adeptes de la magie, cherchant à entrer en contact avec la grande magicienne des légendes arthuriennes.
Brocéliande reste un lieu où l’imaginaire côtoie le réel, habité par le Petit Peuple de Bretagne. Qui sait ? Peut-être les fées et korrigans se cachent-ils derrière chaque arbre, n’apparaissant qu’à ceux qui osent croire en leur existence…
Conclusion
Brocéliande est bien plus qu’un simple lieu géographique : c’est un territoire mythique où l’histoire et la légende s’entrelacent dans une trame intemporelle. De ses forêts profondes aux mégalithes ancestraux, des récits arthurien aux traditions populaires bretonnes, elle incarne un espace où la mémoire collective façonne un imaginaire puissant et envoûtant.
Si les débats autour de sa véritable localisation persistent, force est de constater que la forêt de Paimpont est aujourd’hui devenue la Brocéliande contemporaine, un sanctuaire où les mythes continuent de vivre à travers les récits, les monuments et les croyances populaires.
Les visiteurs en quête de mystère viennent y chercher la sagesse de Merlin, l’empreinte de Morgane, ou encore les échos des chevaliers de la Table ronde. Entre les vestiges archéologiques et les sites légendaires, chacun peut y trouver sa propre vision du merveilleux, qu’elle soit ancrée dans le patrimoine historique ou portée par les courants ésotériques modernes.
Ainsi, Brocéliande demeure un symbole universel : celui de la forêt initiatique, où chaque sentier peut mener à une révélation, où chaque pierre peut être un vestige d’un passé oublié, et où l’invisible côtoie encore le visible, pour peu que l’on sache regarder au-delà du réel.
Bibliographie
- Roman de Rou, Wace
- Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes
- Perceval ou le conte du Graal, Chrétien de Troyes
- Cycle du Lancelot-Graal
- La morte d’Arthur, Thomas Malory
- La Légende du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, Jacques Boulenger
- La légende du roi Arthur, Martin Aurell
- Centre de l’imaginaire arthurien : https://www.broceliande-centre-arthurien.com
- Le pays de Brocéliande : http://www.paysdebroceliande.com