Un jour sans fin

Le 2 février est une date célébrée dans de nombreux folklores du monde. Pour les pays de culture chrétienne, c’est la Chandeleur, mais on trouve encore de nos jours des festivités non religieuses, comme le Jour de la Marmotte dans le Nord de l’Amérique. Cette célébration est une sorte de pari sur la fin de l’hiver : la tradition veut que si une marmotte sort de son terrier en ce jour et ne voit pas son ombre à cause du temps nuageux, l’hiver finira bientôt. Par contre, si elle voit une ombre car le temps est lumineux, elle retournera dans son trou et l’hiver continuera pour six semaines supplémentaires. D’origine européenne, cette tradition se retrouve dans de nombreux pays, avec chaque fois un animal local. L’ours est le plus utilisé, mais on trouve aussi le loup dans le Limousin, et le hérisson en Irlande ainsi que chez les anciens Romains. Mais revenons à nos marmottes…

Le Jour de la Marmotte est le cadre dans lequel se déroule l’action du film Un jour sans fin, le titre original étant Groundhog Day, le jour de la marmotte. Réalisé par Harold Ramis en 1993, avec Bill Murray dans le rôle principal, le film raconte l’histoire de Phil Connors, un présentateur de météo cynique et imbu de sa personne, qui se retrouve coincé dans une boucle temporelle, condamné à revivre encore et encore le même jour jusqu’à ce qu’il ait donné un sens à sa vie. Œuvre humaniste prônant l’altruisme et le développement de soi, Un jour sans fin est également une excellente comédie, ainsi que l’un des meilleurs rôles de Bill Murray.

Le film nous montre l’évolution d’un homme. Au départ égoïste et méprisant, le personnage va petit à petit s’ouvrir au monde et gagner en humilité en devenant altruiste. Pour cela, il va devoir opérer des changements radicaux, et tout cela ne se fera pas sans mal. D’après la psychiatre et psychologue Elizabeth Kübler-Ross, chaque personne en situation de deuil passe par différentes étapes qui sont le choc, le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Ces étapes valent pour la perte d’un être cher, une séparation, un échec professionnel ou tout autre changement dans la vie d’une personne. D’après le réalisateur, le scénario est bâti autour de ces différentes étapes. Phil Connors fait ainsi le deuil de son personnage d’avant pour devenir quelqu’un d’autre et ainsi réussir à traverser l’épreuve.

« Debout les campeurs et hauts les cœurs ! Et n’oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd’hui ! »

Une fois passés le choc et la panique face à la situation, la première réaction de Phil est le déni. Il refuse l’évidence et profite de la situation. En pure égoïste qu’il est, il transgresse la loi, vole et profite allègrement des gens. Il sait qu’il n’y aura aucune conséquence, alors il en profite. Mais ce petit plaisir ne saurait durer et le déni fait vite place à la colère. Plusieurs matins de suite, Phil tente détruit violemment le radio-réveille qui le sort inexorablement de son sommeil, à la même heure et toujours avec la même rengaine. Sans succès. Il casse la figure de sa vieille connaissance d’école. Sans succès, l’assureur sera de nouveau là le lendemain, et le surlendemain.
La colère passée, Phil va alors entrer dans une phase de dépression durant laquelle il tentera plusieurs fois de se suicider, sans y parvenir évidemment. Il aura beau s’électrocuter avec un grille-pain, se jeter sous les roues d’un camion, sauter du clocher d’une église ou se précipiter du haut d’une falaise en compagnie de Phil la Marmotte (véritable double métaphorique du héros), rien n’y fait. Phil se réveille invariablement dans sa chambre d’hôtel, à la même date et à la même heure.

Dans la seconde partie du film, Phil sort peu à peu de sa dépression et entre dans sa phase de « développement personnel ». C’est sa productrice Rita, qu’il avait tenté de séduire de nombreuses fois, qui sera le déclic de ce changement. Phil accepte sa situation et commence à se servir de ce qu’il sait non plus pour enfoncer les gens mais pour les aider. Il acquiert petit à petit une intelligence émotionnelle. Il s’agit de la conscience de soi, de la maîtrise des émotions, de la motivation, de l’empathie et de la capacité à entrer en relation. Chaque journée éternellement recommencée devient l’occasion pour lui de se cultiver, de s’instruire et de remplir une mission, grande ou petite, pour les autres ou pour s’améliorer lui-même.
L’ultime journée nous montre alors un Phil totalement métamorphosé par rapport à ce qu’il était au début du film. Et c’est dans les bras de Rita qu’il se réveillera le lendemain, le véritable cette fois. La boucle est brisée et le temps peut reprendre son cours après une très longue journée.

La question que l’on peut se poser est de savoir combien de fois le héros revit cette journée. Les fans de la comédie se perdent en analyse. C’est en effet difficile à dire mais il est possible de faire quelques estimations. À force de revivre éternellement le même jour, Phil sait pratiquement tout ce qu’il va arriver et connait la vie de tous les habitants. Il réalise le vol parfait, joue du piano comme un virtuose et sculpte la glace comme s’il pratiquait depuis de nombreuses années. Pour en arriver là, il faudrait pas loin de 10 ans, peut-être même une vie entière. Une chose est sûre, la construction de soi-même ne se fait pas en un jour.

Le film n’est finalement que la répétition du même jour et pourtant, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Chaque nouvelle vision permet de découvrir quelque chose de différent, une astuce de mise en scène ou de montage. Harold Ramis construit son film avec des repères. Tous les matins, on entend la même chanson de Sonny & Cher, I Got You Babe. Cette répétition est d’abord amusante et se pose comme un rappel de la situation pour le héros (I got you, je te tiens), puis interpelle car cette répétition rappelle notre quotidien, où chaque jour est sensiblement le même. Le réalisateur joue aussi avec les codes du cinéma, et grâce au montage, il fait presque de son personnage un second metteur en scène de sa vie. La scène de vol du sac d’argent est à ce titre une belle mise en abyme, Phil dirigeant les évènements et les personnages à voix haute, tel un réalisateur sur un plateau de tournage. Plus tard, c’est le rôle d’acteur qu’il endossera, s’efforçant de correspondre aux exigences de Rita.

Un jour sans fin amène de nombreuses réflexions, comme le développement personnel, la routine du quotidien et la répétitivité. Tout au long du film, le héros devient quelqu’un de plus humain, altruiste et apprend à prendre l’autre en considération, sans préjugé et avec tolérance. Il n’y a plus que sa petite personne qui compte. Bien plus qu’une comédie fantastique, c’est un véritable conte philosophique et métaphysique. À l’instar de Sisyphe, obligé de rouler une pierre jusqu’en haut d’une colline, pour la voir redescendre avant d’arriver au sommet, Phil se retrouve puni par les dieux, condamné à un avenir impossible et à un éternel recommencement. Ce n’est qu’au prix d’un parcours quasi initiatique, à la recherche de soi-même, qu’il parviendra à se sortir de sa damnation et entamera une nouvelle vie. Une meilleure vie.

Benyouri

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