Les Upanishads

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Âdi Shankâcârya, figure éminente de l’hindouisme et commentateur des Upanishads.
Je vous propose de continuer notre promenade dans l’histoire de la mythologie et de la philosophie indiennes en continuant le livre de Surendranath Dasgupta. En vedette de cet article, les Upanishads.
Le mot sanskrit Upanishad (उपनिषद्, lit. «enseignement») se décompose comme suit: upa-, «près, vers», -ni-, «en bas» et shad, «s’assoir». L’image utilisée est éloquente: celle des élèves qui vont s’assoir autour de leur maître pour recevoir un enseignement. Il convient tout d’abord d’observer que les Upanishads sont considérés comme des écrits sacrés, révélés (sansk. shruti, श्रुति «entendus») qui sont le «parachèvement/la culmination des Védas» (vedânta वेदान्त​) car ils commentent les quatre grands Védas en en faisant l’exégèse philosophique afin d’en dégager la substance [1]; ainsi sont-ils rangés parmi ces quatre védas en fonction de celui qu’ils sont supposés commenter. Les Upanishads sont aussi parfois rangés dans les Âranyaka (आरण्यक), des traités conçus pour ceux qui se sont retirés dans la forêt pour vivre une vie d’ermite, qui continennent des commentaires mystiques sur des chants et des mantras. On les rattache parfois aussi aux Brâhmana (ब्राह्मण), des écrits qui tentent de faire comprendre à l’étudiant la notion (très subtile) de brahman et comment y parvenir, toutefois, ces rattachements sont sujets à caution, car il n’y a rien de 100% fiable. [2] Il existe cependant une distinction fondamentale entre les Upanishads et les autres écrits védiques, que les anciens philosophes indiens eux-mêmes faisaient. [3]
En effet, la plupart des textes védiques décrivent des rituels, ils décrivent la voie à suivre pour accomplir les oeuvres (karmamârga कर्ममार्ग​), c’est-à-dire principalement les sacrifices et autres devoirs religieux. Ceux-ci sont liés à l’ascèse, et ils permettent d’atteindre la libération (moksha मोक्ष) via le don de soi, l’abnégation. De tels textes décrivent donc en général des commandements et des prescriptions (vidhi विधि) et, à l’inverse, des listes de choses proscrites (nishedha निषेध). Ce n’est cependant pas le but des Upanishads, qui ne prescrivent quasiment aucune action, mais présentent des réflexions et points de vue philosophiques afin que l’étudiantparviennent à la libération via une compréhension intérieure de grands concepts comme âtman ou brahman, qui vont souvent au-delà du mental. Il ne s’agit pas d’agir, mais de penser: nous sommes donc clairement dans la voie de la connaissance (jñânamârga ज्ञानमार्ग​). Cet accent porté sur le travail intérieur et la réflexion personnelle après avoir entendu la voix du maître indique déjà que les Upanishads reflètent une pensée déjà sortie du védisme pur, et qui s’achemine vers ce qui sera ensuite appelé hindouisme; cela est cohérent avec les dates d’écriture estimées de la plupart des Upanishads (-800/-500), ce qui correspond à la fin du védisme, et aux débuts du brahmanisme.
Il existe 108 grandes d’Upanishads, mais 13 seulement sont reconnues comme des Upanishads majeures, ou «principales» (mukhya मुख्य), dont 10 sont considérées sacrées. [4]
01 Isha Upanishad, une approche métaphysique et non-dualiste (advaita अद्वैत​) décrivant l’Îshvara («Seigneur suprême» ईश्वर) de l’univers.
02 Kena Upanishad, qui décrit brahman, l’Inconnaissable, source de toute vie et du pouvoir de toutes les forces créatrices, les devas.
03 Katha Upanishad, un dialogue fictif entre un jeune garçon, Nachiketas (नचिकेतस्, «il ne comprend pas») et Yama, le dieu de la mort auquel il fut donné. Yama, voyant sa foi, lui révèlera alors les secrets de la libération.
04 Prashna Upanishad, conversation entre trois disciples de Brahma et un rishi (grand sage fondateur) sur deux méthodes de libération, le «chemin du nord/du Soleil», et le «chemin du Sud/de la lune».
05 Mundaka Upanishad, qui enseigne que la lecture des Védas seuls est insuffisante, car brahman ne se connait que par expérience directe.
06 Mândûkya Upanishad, qui décrit la relation de la syllabe sacrée aum (ॐ) avec les trois états de conscience et le quatrième, le silence, qui équivaut au moksha.
07 Taittirîya Upanishad, elle-même divisée en trois sections: la phonétique/art de réciter les textes sacrés, les corps subtils qui composent l’Homme, et un discours de Bhrigu, expliquant que le jîva (जीव, «âme individuelle») fait également partie de brahman.
08 Aitareya Upanishad, qui disserte sur la notion d’intellect/force masculine primordiale, le purusha (पुरुष)
09 Chândogya Upanishad, qui parle d’un chant à réciter durant le sacrifice védique.
10 Brihadâryanaka Upanishad, lié aux Âranyaka.
Ces textes ne forment pas toujours un tout homogène et cohérent. On peut trouver entre les différentes Upanishads des divergences interprétatives, voire des contradictions. En fait, les Upanishads doivent plus être comprises comme la vision philosophique propre à leurs auteurs/à leurs écoles philosophiques que comme un bloc monolithique qui reflèterait une seule doctrine, et les interprétations qui en furent faites sont encore plus nombreuses que les Upanishads elles-mêmes, qui servent cependant à cadrer le débat: les Upanishads se présentent en effet comme des arguments d’autorité sur lesquels il faut se baser, car il était bien sûr impensable que le premier venu disserte sur la métaphysique en présentant ses propres opinions sorties de nulle part comme des vérités absolues. [5] Les Upanishads hiérarchisent donc la connaissance, ce qui ne doit pas faire oublier leur diversité. Ceci est dû à une raison simple: les Upanishads furent écrites par des humains avec leurs spécificités, ayant des approches, des buts et des manières de faire spécifiques.
Il ne faut pas oublier qu’il s’agit également de la première tentative de répondre à des questions issues des pratiques védiques, et de la contemplation des mystères du monde en général, par exemple: pourquoi le monde est stable, ordonné, logique, alors qu’il est pourtant toujours changeant, fait de choses éphémères ? Ou encore: quelle est l’essence, la force directrice de toutes les autres, quelle est la source d’où tout provient ? Cela a amené les Indiens à décrire des concepts difficilement abordables qui sont pourtant au coeur de l’hindouisme, comme âtman ou le brahman [6]. Malgré quelques différences et contradictions, on constate néanmoins une véritable logique et continuité sur la très grande majorité des concepts traités, qui témoignent d’une grande érudition, raison pour laquelle elles sont considérées comme shruti. Les Upanishads furent certainement, pour certains, l’oeuvre d’une vie: très courtes en comparaison des hymnes védiques, elles présentent de la manière la plus synthétique et essentielle possible des préceptes visant à transmettre des secrets de l’existence. Elles sont également courtes car ces préceptes ne sont que le début du voyage, absolument pas la fin: dire «j’ai compris» après avoir entendu les mots du maître est une erreur absolue [7]. L’étudiant est encouragé à s’approprier les enseignements, à les méditer en profondeur et à connaitre par expérience directe brahman une fois ce savoir acquis. Voilà pourquoi leur étude et leur commentaire ont également été la recherche d’une vie, pour de très célèbres philosophes hindous comme Âdi Shankara [8].
Les prochains articles seront certainement consacrés à trois Upanishads (Kena, Prashna, et Katha) dont je ferai un compte-rendu de lecture.
[1] DASGUPTA Surendranath (1922), A History of Indian Philosophy Vol. I, chap. 2 part. 12, Eschatology: The doctrine of Atman, Cambridge: University Press.
[2] Idem, chap. 3 part. 2, The name of the Upanishads: Non-Brahmanic influences.
[3] Idem, chap. 3 part. 1, The place of the Upanishads in Vedic literature. [4] Sanskrit Heritage Dictionary, entrée upanishad, disponible en ligne: http://sanskrit.inria.fr/DICO/15.html#upani.sad
[5] DASGUPTA Surendranath (1922), A History of Indian Philosophy Vol. I, chap. 3 part. 5, The Upanishads and their interpretations, Cambridge: University Press.
[6] Idem, chap. 3, part. 3, The quest after Brahman: The struggle and the failures.

[7] Swami PARAMANÂNDA (1919), Four Upanishads translated and commented from the original sanskrit text, Kena Upanishad, II-1, (réédition: Madras: Ramakrishna Math, 1980) [8] Âdi Shankarâcârya आदि शंकराचार्य​ (788-820), prêcheur du vedânta orthodoxe moniste (advaita), le plus connu en Occident. Il a fait beaucoup pour sa diffusion. On lui doit de nombreux commentaires et la fondation de quatre monastères.

(Par Yohann — Siddhartha Burgundiae. Des questions, envies de discuter ? C’est par ici !)

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