La religion gallo-romaine. Partie II. Les panthéons gallo-romains

La quasi-totalité des nos connaissances sur les dieux gallo-romains nous proviennent des inscriptions/dédicaces gravées sur des pierres, stèles ou autels. Plusieurs milliers de ces dédicaces ont été retrouvées et nous fournissent une liste importante de noms de divinités. Ces inscriptions sont en général, des hommages rendus à des divinités nommées, relié à leurs commanditaires. En exemple :

       A Mars Cicoluis, pour le salut de Néron Auguste Germanicus, imperator, père de la patrie, les citoyens lingons établi à Cibernodurum …. [Texte effacé]

                Malheureusement, ces documents ne nous donnent aucun autre détail sur le rôle et les pouvoirs de la divinité. Néanmoins, ces informations peuvent se retrouver dans l’interprétation des statues, fresques ou autres représentations auquel le dieu est associé. Mais ces représentations sont beaucoup plus rares, et ne sont pas toujours clairement rattaché au nom d’une divinité.

                Souvent, l’interprétation du nom divin est notre seul renseignement.  Malgré tout, un petit nombre de récits de voyages nous sont parvenus, nous livrant des anecdotes et informations supplémentaires sur des mythes gallo-romains, ainsi que les rites et les pratiques de cultes qui y sont associées. exemple, un récit de voyage de Lucien de Samosate, à Massalia au 3ème siècle, nous relate un échange avec un celte (gaulois). Ce dernier lui raconte une scène mythologique d’Ogmios, dieu-symbole de l’éloquence, que l’auteur décrit comme une allégorie et associe à Hercule.

Les différentes catégories de divinités

                Ainsi, nous disposons d’une très longue liste de divinités. On y trouve autant de divinités d’origine latine (Venus, Neptune, Hercule…) qui se répandent progressivement au 1er siècle, que de divinités aux noms indigènes ou gallo-romains (Anvallus, Souconna, Temusio, Borvo….). Toute ces divinités peuvent se classer de différentes façons, selon leur origines, leurs natures ou leurs attributs. Pour notre présentation générale, essayons-nous de les classer en trois groupes liés aux trois grandes vocations divines que l’on retrouve en Gaule : les arts, la nature et la guerre.

Les cultes des arts

                Les gallo-romains semblent montrer une préférence pour les divinités liées aux arts, aux artisanats et aux commerces. « Cœur industriel de l’empire occidental », l’artisanat et le commerce occupe une place première dans l’activité des cités et les relations entre elles.

                Ainsi, avec 188 mentions connues, le dieu romain Mercure semble se montrer comme la divinité la plus importante des Gaules. Divinité patron des artisans, du commerce et protecteur des voyageurs, Mercure est en effet représentée dans toutes les cités gauloises. Sur l’inscription retrouvée à Rezé, grand port des Pictons, Mercure Negociator mettrait en avant la puissance divine des gains et des profits. A Argenton Mercure Felix, évoque la prospérité. Mercure Cissonius protège les grands complexes industriels de céramique des Gaules. A côté des grands complexes en son honneur, de nombreux temples lui sont dédiés en zone péri-urbaine, près des industries. Des autels en l’honneur d’Hermès-Mercure protègent les entrés des cités et des agglomérations.
Bien-sûr, Mercure n’est pas le seul nom de divinité associé aux arts connus. On peut évoquer Lugus, deuxième dieu le plus mentionné après Mercure en Normandie, et probablement à assimiler à ce dernier. Nous connaissons aussi une inscription à Entrains du dieu Ucuetis [DEO VCV[ETI…] supposé dieu des forgerons. Le Dieu Sylvain est essentiellement attesté en Gaule Narbonnaise, interprété comme protecteur des artisans de la pierre et du bois, éventuellement des troupeaux. Il est souvent représenté avec un maillet, une serpe, un vase, un chien.

               

                Une déesse Minerve est d’ailleurs la divinité protectrice de la cité des Arvernes et des Lemorives. D’autres Minerve comptent parmi les dieux officiels des Pictons et des Convènes. Nous parlons souvent des Minerves parce que cette divinité se retrouve dans les différentes cités sous des formes et des puissances divines différentes, parfois difficile à comprendre. La déesse est souvent représentée en armes. Tantôt protectrice des médecins (Minerve guérisseuse vénérée à Rome) tantôt matrone des artisans, Minerve est aussi dite mère des dieux. Pour certains, elle succède/remplace/ou plutôt traduit les déesses protectrices « ancestrales » des Gaules, comme Rigani ou Rosmerta.  La similitude qui devait exister entre cette déesse romaine et ses cousines gauloises sont probablement à l’origine de ces divinités, et auront contribué à leurs succès. Pour certain elle a bénéficié du culte des déesse-mères gauloises, voire les a remplacées. Comme évoqué sur une inscription du sanctuaire de Bath, la Minerve guérisseuse permet d’évoquer le deuxième groupe de divinité.                 Minerve est aussi une divinité majeure des panthéons gaulois. 81 inscriptions et des centaines de statuettes lui font références, surtout en Aquitaine. Au regard de son iconographie, Minerve reste la patronne des arts et de l’industrie pour les Gaulois.

Les cultes de la nature

           Les divinités liées à la nature sont répandues dans toutes les Gaules. L’Apollon romain, en tant que dieu guérisseur, patron des médecins et protecteur des eaux, est le plus présent dans les panthéons officiels des cités. Nous connaissons notamment Apollon Vindonnus et Apollon Moritgasus, divinitées majeures de la cité d’Alesia. Néanmoins, ce dernier Apollon ne serait pas un dieu guérisseur. Car beaucoup de divinités éponyme d’Apollon, comme Apollon Auguste et Apollon Veriugodumnus, ne sont pas liées « aux eaux purificatrices » mais associées à d’autres puissances divines. Apollon est présent dans les centres urbains et péri-urbains.

                Bien étendu, comme divinité de la nature, Cernunnos, dieu cornu divinité des cerfs, dont les premières références datent de l’ère augustéenne, est l’un des plus fréquents en Gaule Lyonnaise et Belgique. On connait la déesse Segeta, Sequana, protectrice des eaux ou des moissons suivant les inscriptions. La déesse Diane nous est connu par une quinzaine de mention, et serait la protectrice de la chasse dans les cités gauloises du Sud-Est de la Gaule. Dans le Nord/Nord-est de la France, 22 dédicaces nous font connaître Borvo/Borno/Bornanus, étymologiquement dieu des eaux chaudes ou bouillonnantes. Pour revenir aux divinités des sources, ceux-ci s’associent souvent aux nymphes, divinités mineures gauloises protectrices des eaux. On compte une centaines de mentions de nymphes en Gaule. La distinction entre dieux et nymphes est souvent floue.

Culte des dieux guerriers

            Un autre grand groupe de divinités complètent les panthéons des cités : celui des dieux-guerriers ou appelés aussi les « Mars gallo-romains ». Chacune des cités possèdent une divinité-guerrière, au moins, qui lui est propre. En exemple, Mars Lenus dans le pagus des Trévires, Mars Camulus chez les Rèmes, Mars Caturix des Helvètes, Mars Segonus pour la cité des Sequanes, etc…

Exemple d’inscription : « Consacré à Mars Camulus pour le salut de Néron Claude César Auguste Germanicus, Imperator, les citoyens Rèmes qui ont établi ce temple. »

            Parfois, certaines cités vénèrent plusieurs dieux Mars, comme la cité des Riedons, qui correspondent aux divinités protectrices des pagi. Aussi, même les campagnes peuvent avoir une divinité guerrière propre. Par ailleurs, les dieux-guerriers ne sont pas spécifiques à une cité. Ainsi, le dieu Mars Mullo est présent parmi les peuples de l’ancienne confédération Aulerques (Aulerques Diaplintes (Mayenne), Aulerques Cenomans (Sarthe) et les Andecaves (Angers). Il est aussi présent dans le panthéon des Riedons (Rennes) et des Namnètes (Nantes).

                Ces nouveaux dieux de la guerre succèdent aux grands dieux gaulois de la guerre, avec une forme adaptée aux nouvelles sociétés en temps de paix. Les puissances divines de ces nouvelles divinités se concentrent sur l’exaltation de la victoire, de la gloire et de la paix. Ces divinités sont entretenues surtout par les élites gallo-romaines, qui constituent les célèbres unités de cavalerie des légions du Rhin, mais pas seulement. Pour certains historiens, les vestiges d’une statue en l’honneur d’un dieu Mars, sur l’autel du Confluent, au côté des représentations du culte impérial, semblent révéler que Mars était une divinité protectrice de la Fédération des trois Gaules. C’est peut-être ainsi que chaque cité s’en fit un représentant. 

            Mais les Mars ne sont pas les seules divinités dites guerrières. Epona, gardienne des cavaliers, est connue par plus de 400 inscriptions dans les régions des Eduens, des Trévires et du Rhin. Epona est l’une des divinités gauloises les plus connues et les plus diffusées dans l’empire.

L’origine des divinités gallo-romaines

            De par leur nombre, il est difficile d’aborder l’ensemble des divinités, d’autant plus que la majorité nous reste inconnue. Malgré l’absence d’informations sur les puissances divines ou leurs rôles, la recherche s’est beaucoup tournée sur l’analyse de la seule information que nous disposons pour beaucoup de cas : leurs noms. Sur un certain nombre de dédicaces, des divinités ont des noms composés. Ceux-ci comprend un théonyme latin suivit d’une épithète qualificative divine, dit épiclèses. Ex : Apollo Moritasgus, Apollo Grannus/Mars Grannus, Mercure Rosmerta. Ces noms composés ont fait couler beaucoup d’encres pour les comprendre, sur leurs origines et leur signification. Car de leur compréhension résulte celle des divinités elle-même.

La cohabitation des divinités gauloises et romaines : assimilation et superposition

                Aux prémices de la recherche sur le sujet, les épithètes de langue gauloise ont été assimilées à des noms de divinités indigènes, d’avant la conquête. Ainsi, les panthéons gallo-romains seraient une évolution « superficiellement » romanisée des panthéons celtiques. Cette construction de nom proviendrait de l’Interpretario Romana. Ce phénomène correspond à la volonté des Romains de comprendre et assimiler les divinités étrangères, en les traduisant par les noms de leurs dieux, suivant leur similitude. En exemple, César le fait dans « La guerre des Gaules » en associant à Mercure tous les dieux gaulois dédiés aux arts et Apollon aux dieux des sources. 

            D’autres chercheurs ont émis récemment l’hypothèse d’un phénomène inverse ; celle de l’Interpretario Celtica. Dans une volonté manifeste d’intégration, les élites politiques gauloises auraient fini par « traduire » ou « associer » leurs divinités des cités par des noms de divinités romaines. Ainsi, l’initiative viendrait des Gaulois et non des Romains. Quel que soit ces deux hypothèses, les divinités gallo-romaines se seraient construites par l’ajout d’un patronyme romain devant le nom celte d’un dieu.

            Dès lors, nous avons vite pris l’habitude de déduire que chaque épithète était un nom d’une ancienne divinité celtique, et en déduire sa puissance divine par son étymologie. Mais depuis, cette interprétation est de moins et moins véridique. En exemple, Mercure Konetonnesis, chez les Lexoviens (Lisieux) est une épithète « topique », lié au lieu qu’il protège. De la même manière Mercure Dunocaritiacus est dieu protecteur d’un domaine foncier du même nom, ou bien Mars Bolvinnus.

            Pour Mercure Avernorix, son épithète signifie « roi des Arvernes ». Il officialise le rôle de ce dieu Mercure comme protecteur de la cité des Arvernes. Autre exemple, Mars Caturix est une divinité attachée à l’une des grandes familles helvètes, les Flamini, qui en ont assuré l’élévation comme divinité publique de leur cité, en financement des temples sur leurs domaines. La question est soulevée aussi pour Mars Mullo. J. Guyunvarc’h traduit l’épithète par « butin, trésor cultuel » tandis que J. Hiernard en fait le dieu gaulois des muletiers, liés aux transports de l’étain, ou bien de muleus, le nom de la chaussure rouge des hauts dignitaires du Sénat. D’autres y voit un simple surnom/cognonem gallo-romain. Beaucoup de spécialistes préfèrent s’arrêter à une simple interprétation d’épithètes évoquant le pouvoir/la puissance divine de la divinité.

L’origine des divinités : une simple histoire d’assimilation ?

                Ainsi, plus les recherches avancent, plus les historiens se rendent compte que les épithètes ne sont pas systématiquement d’anciennes divinités. Dès lors, on ne peut affirmer que tous les dieux gallo-romains succèdent directement aux divinités gauloises. De même, qu’on ne peut avancer qu’une divinité gallo-romaine appelée Minerve correspondent parfaitement à la Minerve de Rome. Ou affirmer qu’une divinité au nom étymologiquement celtique (ex : Nerius) soit une divinité « survivante » d’avant la conquête, et non une création durant le Haut-Empire.

            Car oui, dans tous ces cas de figures, il peut aussi s’agir de toutes nouvelles divinités.  Et ainsi, ces dieux gallo-romains soit-il vraiment des enfants directs d’anciens dieux celtes, romanisés ?

       […] J’erre, je ne cesse de courir le monde entier, mais je suis toujours fidèle d’Onuava, Je suis à l’extrémité de la terre, l’éloignement ne peut me décider à placer mes vœux sous l’invocation d’une autre déesse. L’amour du vrai m’a entraîné jusqu’à Tibur, mais Onuava m’a accompagné sans cesse de sa puissance favorable. Ainsi, mère divine, loin de ma patrie, exilée en Italie, je ne t’en adresse pas moins mes vœux et mes prières. […] 
Texte sur pierre d’un gaulois originaire de Bordeaux (trd. R. Etienne)

                Cette citation, est un exemple parmi d’autres textes votifs qui témoignent de la volonté de certains gaulois de perpétuer leurs dieux. L’héritage de la religion celtique dans le développement des panthéons gallo-romains est donc clairement attesté. Le grand dieu de la cité des Eduens, Anvallus, est attesté comme dieu celte, comme Teutatès et Grannos. Sur le site du célèbre grand sanctuaire gallo-romain de Mars Mullo à Allonnes (près du Mans) les vestiges d’un ancien site de culte de l’âge de fer, avec du mobilier liés au culte de la guerre, ont été retrouvés. Si l’on ignore réellement quelle divinité celte y était vénérée, le mobilier atteste soit d’un culte guerrier ou d’un dieu à qui l’on déposait des armes en offrande. En tout cas, le dieu Mars Mullo a semble-t-il hérité de ce culte. D’évidence, on peut supposer que ce dieu celte se nommait Mullo mais, sans indices supplémentaires, les nombreux contre-exemples appellent à la prudence.

                Par ailleurs, on ne peut se fixer que sur l’étude des noms composés, la majorité des noms ne comprenant qu’un mot souvent d’étymologie gauloise. C’est le cas notamment des nombreuses divinités locales dans les campagnes. Leur seules mentions et étymologie celte ne sont pas preuve d’une origine ancienne, quand on sait la survivance du dialecte gaulois jusqu’à la fin de l’empire.
On ne peut non plus être certain des puissances divines de ces divinités par la simple étude étymologique de leur nom. L’exemple de Mars Mullo, évoqué plus haut, montre les différentes hypothèses qui peuvent être émises. Seuls les ex-voto donnent un indice précis sur les pouvoirs des divinités. Bien que quelques divinités gauloises semblent perdurer à la période gallo-romaine, cette réalité ne peut être appliquée comme un fait général pour toutes les divinités.

Conclusion :

                Au premier coup d’œil, on peut se dire que les divinités romaines seraient importées et cohabiteraient avec d’autres divinités d’origine gauloise. En réalité, l’origine des divinités est bien plus complexe. La construction des panthéons des cités est le résultat d’un mélange d’héritage, d’influences et de politiques locales. Indigènes, romaines ou provenant d’Orient, les origines « cosmopolites » des divinités composant ses panthéons créent cette richesse. De même, les différents cultes et vœux sont rendus envers des puissances divines ou des vertus attribuées aux divinités, plutôt qu’à la divinité elle-même, favorisant cette complexité.  Ainsi, ses spécificités mais aussi son évolution constante durant l’empire nous dévoile bien une religion très particulière. La pluralité des divinités et la nature de leur dévotion pourrait s’expliquer par d’autres aspects de la religion gallo-romaine, qui interviennent les cadres plus privées de la vie quotidienne. Les dieux sont une allégorie, une personnification de forces de la nature que les hommes cherchent  influer à travers des pratiques cultuelles.

Illustration :

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Par Maccleod

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